« Faire de la batterie un équipement durable » : la promesse de la startup Batconnect
Implantée au sud de Toulouse, la jeune pousse Batconnect a fait partie de la promotion 5 du programme Accélérateur Néo Startups Industrielles de Bpifrance. La French Fab a échangé avec Jérémy Dulout, son CEO, sur les bénéfices de cette participation et sur la montée industrielle de sa start-up.
« Faire parler les batteries ». C’est la promesse de la start-up toulousaine Batconnect fondée en 2019 par Jérémy Dulout son actuel CEO. Spécialisée dans la conception de batteries lithium connectées, l’entreprise composée de 14 salariés, a développé une technologie capable de remonter, à distance, toutes les données d’usage d’une batterie. Objectif : analyser son état de santé, anticiper les pannes mais aussi optimiser son comportement « si l’on constate par exemple qu’elle est mal rechargée, trop sollicitée ou soumise à des charges trop lourdes », détaille le dirigeant. Initialement positionnée sur la conception de batteries pour les voiturettes de golf, la jeune pousse a par la suite élargi son champ d’intervention : engins aéroportuaires, équipements de piste, escaliers passagers, tapis à bagages : Batconnect équipe aujourd’hui une grande variété de véhicules et de machines. S’y sont ajoutés les motos, scooters, robots, bateaux et depuis un peu plus de 18 mois, les lanceurs de fusées. Sur ce segment spatial, Batconnet travaille au diagnostic ultra-précis des batteries après un premier vol. C’est-à-dire, « savoir si la batterie peut être réutilisée ou non pour un deuxième vol, explique Jérémy Dulout. Mais aussi concevoir le chargeur capable de la remettre en état de manière précise et en toute fiabilité. » L’objectif reste le même : prolonger la durée de vie des batteries en faisant en sorte qu’elles soient réemployables.
Réduire l’empreinte carbone des batteries
Si à l’origine, Batconnect ambitionne de ne faire « que de la data », très vite, la start-up se rend compte que les fabricants de batteries n’y voyaient pas forcément leur intérêt. Car, allonger la durée de vie des batteries, le but premier de la jeune pousse « allait un peu contre le sens de vendre plus de batterie ». Ainsi, Batconnect a fait le choix de porter le projet de concevoir et produire des batteries. Aujourd’hui, « notre promesse est de faire durer plus longtemps la batterie en utilisant au maximum son potentiel électrochimique », avance Jérémy Dulout. Une stratégie qui répond aussi à un double enjeu. Environnemental d’une part : en exploitant tout le potentiel électrochimique d’une batterie, l’empreinte carbone est réduite. Industriel d’autre part : « Aujourd’hui, la quasi-totalité des cellules lithium est produite en Asie. Il existe aussi un enjeu crucial sur le fait de limiter les importations de matériel. Si on veut moins importer, il faut faire durer les équipements plus longtemps », conçoit le CEO. En parallèle, Batconnect mise sur les progrès du recyclage des batteries par des sociétés spécialisées, un marché encore en phase de structuration : « Beaucoup d’acteurs travaillent dessus, mais personne n’est encore opérationnel à 100 %. » Cette montée en puissance industrielle nécessite des investissements lourds. Batconnect a renforcé ses capacités avec des machines de cyclage et des équipements haute puissance. Prochaine étape : une ligne pilote d’assemblage de batteries pour les véhicules intermédiaires, soutenue par une subvention de l’Ademe, dans le cadre du challenge Extrême Défi. « Nous avons conçu une batterie commune à plusieurs constructeurs », précise Jérémy Dutout. Une mutualisation qui permet d’augmenter les volumes, de réduire les coûts et de simplifier les certifications. Une dizaine de fabricants ont déjà manifesté leur intérêt, certains sont déjà clients.
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La French Fab : Quel était l’objectif de Batconnect en participant au programme Accélérateur Néo startups Industrielles de Bpifrance ?
Jérémy Dulout : L’objectif était de préparer un dossier Première Usine pour avancer sur plus qu’une ligne pilote. Nous avons déjà franchi une première étape avec des financements reçus de l’Ademe pour réaliser cette ligne pilote. Ces premiers investissements vont 600 000 à 1 million d’euros. Le dossier Première Usine a été déposé, nous attendons le résultat. Si le financement est accordé, on parle cette fois d’un projet d’usine à 6,5 millions d’euros, destiné à soutenir l’ensemble de nos développements en cours. J’ai abordé les différents segments de marché auxquels nous nous adressons, là, notre objectif est de produire des batteries pour tous ces marchés. Mais aussi – j’en ai oublié un – celui de la manutention. Donc : engins élévateurs, gerbeurs, nacelles élévatrices… Nous créons une première gamme de batteries avec toujours la même promesse : faire en sorte que la batterie ne soit plus un consommable, qui peut mourir du fait d’une mauvaise utilisation, mais un équipement durable.

La French Fab : Comment vous démarquez-vous sur un marché ultra concurrentiel de la batterie lithium ? L’Accélérateur vous a-t-il aidé à structurer votre stratégie future ?
Jérémy Dulout : Notre vraie différence, c’est la donnée. Le diagnostic à distance, le suivi en temps réel et l’accompagnement client dès la mise en service. Aujourd’hui, nous travaillons majoritairement en France mais environ 20 % de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’export, en Europe mais aussi en Afrique, notamment pour le segment bateau, avec une forte présence au Sénégal. Sans ce système de données, faire du SAV ou de la mise en service à distance nous coûterait extrêmement cher. Cela fonctionne très bien et concrètement rassure nos clients. Ils savent qu’ils ne sont jamais seuls, qu’ils peuvent obtenir un suivi personnalisé. Je vous donne un exemple : au Sénégal, un client nous signalait une perte de puissance récurrente sur les moteurs d’un de ses bateaux. En deux jours, grâce aux données, nous avons été capables d’identifier une simple vis desserrée. En termes de stratégie, nous travaillons activement sur la seconde vie des batteries, notamment autour du stockage d’énergie solaire. L’idée d’utiliser des batteries en fin de vie dans des ombrières solaires, pour stocker l’énergie et recharger des véhicules électriques. Le projet est en cours de développement. Nous avons aussi vendu à l’université de Compiègne. Pour le Sénégal, là où c’est intéressant pour notre client, qui se trouve dans une zone située près de lacs, où le réseau est instable, ces batteries de seconde vie peuvent l’aider à avoir un réseau plus stable toute l’année.
La French Fab : Quels autres avantages concrets vous a apporté le programme Accélérateur Néo Startups Industrielles ?
JD : Ce qui a été vraiment intéressant, c’est d’être entre pairs, avec des sociétés qui n’ont pas le même niveau d’avancement. Nous bénéficions de retours d’expérience très concrets, à la fois sur le développement produit : ce qu’ils ont rencontré comme difficultés, parfois sur des produits qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Et en fait, nous réalisons qu’il existe des jalons communs à tous les projets, qu’on fasse des batteries, des avions, des voitures ou autre chose. Il y a des étapes clés. Ce qui est précieux, c’est de savoir, pour chacun, quels ont été les points durs à chaque phase du développement produit. Sur la constitution des équipes, ce programme est aussi très instructif. De voir à quel moment certains se disent “cette fonction est clé, il me la faut absolument”. Nous avons aussi beaucoup échangé sur la recherche de financements, publics ou privés, sur les levées de fonds, et sur la question de l’usine : comment déterminer le lieu le plus approprié, comment discuter avec les parties prenantes. Ce programme est très riche car nous ne sommes pas dans des concepts théoriques mais nous abordons des choses qui se sont réellement passées et très récemment. Tout va tellement vite dans l’entrepreneuriat, qu’il y a des sujets que nous pensons être lointains et puis finalement trois plus tard nous sommes déjà en plein dedans. J’ai trouvé aussi que la qualité des intervenants, que ce soit lors des sessions collectives ou individuelles, est vraiment très élevée.
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La French Fab : Quels sont les points sur lesquels les intervenants ont pu vous aider, notamment concernant vos objectifs premiers ?
JD : Les intervenants, qui sont en fait des consultants, nous ont apporté des retours très concrets, à la fois sur la partie business et sur la partie implémentation du site pour le dossier Première Usine. C’était extrêmement instructif. Dans l’accompagnement individuel, nous avons notamment travaillé sur l’identification des programmes les plus pertinents à suivre pour nous, avec un diagnostic à 360 degrés, en allant voir aussi chacun de nos collaborateurs pour comprendre comment la boîte est structurée et quels sont les besoins. Par exemple, nous nous fait accompagner sur la propriété intellectuelle et sur notre stratégie à l’innovation. Et pourtant, moi je suis ingénieur et docteur, j’ai passé ma vie sur les sujets d’innovation, entre publications scientifiques et brevets. Batconnect avait donc une stratégie qui me semblait cohérente mais insuffisante. Cet accompagnement nous a permis de passer à un autre niveau. Ça a aussi permis d’impliquer toute l’équipe, notamment deux autres docteurs dans l’entreprise, et d’être confrontés à des personnes qui ont déjà fait ce chemin à différents niveaux. Nous avons pu tout remettre à plat et retravailler ensemble pour redéfinir notre stratégie. Un seul bémol, l’accès au programme est conditionné à un certain niveau de financement, notamment en termes de levée de fonds. Une exigence qui peut sembler restrictive, mais qui se justifie selon moi. Sans assise financière réelle, il serait impossible de déployer les plans d’action évoqués.
La French Fab : Quel est votre regard sur la réindustrialisation en France et les enjeux actuels liés à la souveraineté ? Qu’est-ce qui manque à l’industrie française aujourd’hui ?
JD : Si je commence par ce qui manque à l’industrie française, je dirais, un écosystème industriel dense et complet. Aujourd’hui, trouver localement l’ensemble des sous-traitants nécessaires — des cellules aux caissons, de la soudure laser au refroidissement — à portée de chez nous, relève du parcours du combattant. A l’inverse, la Chine, dans une même ville, il est possible de trouver des dizaines de sous-traitants dans chaque domaine, et donc c’est un terreau fertile pour accélèrer l’innovation et tirer les coûts vers le bas en raison de la compétitivité. En Europe, cette dispersion peut entraîner des surcoûts, des pertes de temps et une perte de compétitivité. Faute de tissu industriel solide, nous restons dépendants de l’extérieur. Je pointerais aussi un déficit de savoir-faire : chaque projet nécessite de réapprendre, au prix de longues phases de mise au point. J’espère plus d’industrialisation dans les prochaines années. Mais je reste optimiste car les talents sont là, les jeunes ingénieurs veulent faire de l’industrie et s’engager pour des produits plus respectueux pour l’environnement. Le défi reste vraiment économique : les clients refusent de payer 15 à 30 % de plus qu’un produit asiatique. La solution passe donc par la valeur ajoutée – batteries plus intelligentes, connectées, offrant des services et une compatibilité élargie – pour justifier un prix plus élevé.
Face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle, Batconnect dont le chiffre d’affaires 2025 a atteint les 1,5 million d’euros, accélère sa transformation. Grâce aux données collectées toutes les deux minutes sur près de 800 véhicules équipés, elle entend exploiter l’IA pour affiner le diagnostic des batteries et améliorer leur conception à partir de retours terrain. Objectif ? développer un outil d’aide à la conception combinant expertise d’ingénierie et analyse de données réelles.
Article écrit par Yslande Bossé
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