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Sophie Fabre, expert Environnement (Bpifrance) : « L’économie circulaire peut relancer l’industrie »

Dans son dernier baromètre sur l’écoconception, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) souligne l’implication de plus en plus importante des entreprises pour l’écoconception, notamment en termes de stratégies de développement. La French Fab s’est entretenue avec Sophie Fabre, expert Environnement au sein de Bpifrance, sur les enjeux de l’écoconception dans le secteur industriel.

Quelles mises en pratique de l’écoconception au sein des entreprises françaises ? Dans son dernier baromètre sur l’écoconception (2020), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a démontré l’intérêt significatif suscité par l’écoconception au sein des entreprises françaises. Sur 394 entreprises interrogées, 76 % ont déclaré avoir « mis en place des actions pour l’écoconception. » Dans ce pourcentage, figurent : celles qui ont « intégré systématiquement l’écoconception dans leur stratégie et dans le développement des produits », (33%), celles qui « ont intégré l’écoconception dans une vision à court terme », (18%), celles qui « sont informées et sensibilisées sur le thème de l’écoconception » mais dont les pratiques concrètes sont limitées (25%), enfin, celles qui « n’ont pas appliqué l’écoconception », au sein de leurs organisations (25%).

A l’heure où les questions de transition écologique, de circularité et de respect de l’environnement s’imposent dans le secteur industriel, La French Fab a interrogé Sophie Fabre, expert environnement chez Bpifrance, sur les pratiques et enjeux d’ écoconception à l’œuvre dans l’industrie.


La French Fab : L’écoconception est-elle aujourd’hui bien assimilée par les entreprises françaises ?

Sophie Fabre : Oui, la prise de conscience sur ce sujet progresse de plus en plus au sein des entreprises, et ce, en raison de trois facteurs. Le premier concerne la réglementation. Aux niveaux européen et français, des obligations comme l’étiquette énergétique, des textes comme la directive Single-use plastics, retranscrite en France dans la loi AGEC (Anti-gaspillage et économie circulaire), qui interdit des produits comme les pailles et les touillettes en plastique,  le règlement ESPR (Ecodesign for Sustainable Products Regulation), qui fixe des exigences en matière d’écoconception pour un certain nombre de produits ou la multiplication de filières de responsabilité élargie du producteur (REP), ont favorisé une accélération des projets autour des sujets d’économie circulaire et d’écoconception. . Les entreprises ont dû travailler sur la conception de produits plus respectueux de l’environnement.
Au niveau français, la loi AGEC a aussi fixé des objectifs liés au réemploi. Cela oblige là aussi, les industriels à s’interroger : comment concevoir des produits ou des emballages aptes au réemploi ? Toutes ces tractions réglementaires encouragent les entreprises à se mettre à l’écoconception. Le deuxième facteur, c’est la variabilité du cours des ressources et des matières premières vierges, qui rend la matière recyclée parfois plus intéressante. Enfin, il y a une traction exercée dans certains secteurs par les clients et les donneurs d’ordre.

Cet intérêt pour l’écoconception, nous le constatons, chez Bpifrance, au quotidien grâce au Diag EcoConception, que nous avons lancé début 2020. Il offre la possibilité aux entreprises, à des PME qui ne savent pas par où commencer, d’être accompagné par un expert pour former leurs équipes sur le sujet, étudier l’impact environnemental d’un produit ou service, identifier des pistes d’écoconception et in fine améliorer l’impact environnemental de leurs produits et services.

La French Fab : Quels sont les freins rencontrés par les industriels pour mettre en place une démarche d’écoconception dans leurs entreprises ?

Sophie Fabre : Un des freins qui revient assez souvent porte sur la formation des équipes et leur disponibilité pour travailler sur ces thématiques. Se lancer dans l’écoconception impose de regarder le cycle de vie complet d’un produit, de s’intéresser à des questions de R&D, d’achats de matières,  transport et de fin de vie, mais aussi à la finance, au marketing, au commerce. Il faut embarquer toutes les équipes. Or, souvent, dans les PME, les équipes sont restreintes, elles ont beaucoup de casquettes. L’autre frein qui ressort également a trait au coût d’une analyse de cycle de vie (ACV) d’un produit ou d’un service. Sur ce point, et comme pour la formation, les entreprises ont la possibilité d’être accompagnées via le Diag écoconception, qui est subventionné par l’Ademe.
Enfin, certains entrepreneurs du secteur industriel font remonter l’absence de certaines solutions technologiques ou servicielles qui permettraient de mettre en œuvre des pistes d’éco-conception identifiées.

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La French Fab : Avez-vous en tête des projets concrets d’écoconception issus du secteur industriel, qui ont réussi ? 

Sophie Fabre : Un très bon exemple : Altyor. Cette entreprise fabrique des objets électroniques. Avec des partenaires locaux, elle a travaillé sur l’intégration de plastique recyclé dans des produits, une opération qui était auparavant impossible à réaliser pour des questions de spécificités techniques. A force d’innovation et de recherche, la société a réussi à recycler les coques plastiques de leurs produits en boucle fermée. Ils ont atteint 82% de plastique recyclé en trois ans. Cette méthode leur a aussi permis de baisser le bilan carbone global de leur entreprise de 25 %. Pour aller plus loin, ils ont travaillé sur la manufacture éco-conçue avec Bookinou, un de leurs clients qui fait des liseuses pour enfants. La manufacture est un process très normé consistant à démonter complètement un produit qui a eu une première vie et garder uniquement les composants en parfait état pour un nouveau cycle d’utilisation. En l’occurrence, sur la liseuse, il s’agit par exemple de la carte électronique, qui est conçue pour avoir une durée de vie de 10 à 15 ans alors que le produit, lui, est généralement utilisé durant 2 ou 3 années. Dans cette démarche, tous les autres composants un peu usés et qui ne sont pas en parfait état pour un nouveau cycle vont être changés. C’est très intéressant car l’empreinte carbone de ce produit remanufacturé est réduite des deux tiers, et il coûte moins cher à produire.  Altyor a poussé tellement loin sa démarche d’écoconception qu’ils sont devenus des experts dans ce domaine.

Dans le secteur du bois, je peux vous citer l’entreprise Deschaumes. Ils produisent des parquets en chêne massif. L’entreprise s’est rendu compte que sur ce type de parquet, la seule limite existante était l’usure, et que certains produits pouvaient avoir une durée de vie de plusieurs centaines d’années. Ils ont donc travaillé sur le développement d’un parquet parquet éco-conçu, réemployable qui se monte et se démonte facilement, sans aucune utilisation de colle, de clou. Et pouvant être utilisé une première fois, puis démonté et réutilisé dans un autre bâtiment etc.

La French Fab : Y a-t-il aujourd’hui des marchés qui émergent dans le domaine de l’écoconception ? 

Sophie Fabre : Il n’est pas si simple de raisonner en termes de marchés. Il existe aujourd’hui des typologies de clients intéressés par un certain nombre de produits qui sont concernés par les réglementations autour des démarches d’écoconception, d’économie circulaire, que j’ai évoquées. Le premier programme de travail sur le règlement ESPR sur l’écoconception des produits durables vise notamment les produits à base de fer et d’acier, l’aluminium, et 4 produits finis : les vêtements, les meubles, les pneumatiques et les matelas. Des marchés vont se constituer autour de ces produits-là. Il y a une autre législation européenne dont je n’ai pas parlé qui s’appelle le règlement PPWR (Packaging and Packaging Waste Regulation). Elle concerne les emballages et déchets d’emballage. Autour de ce secteur des emballages, il y a des effets de traction. Enfin, d’autres marchés s’intéressent beaucoup à l’écoconception : notamment le luxe et l’automobile.

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La French Fab : Quelles sont les innovations technologiques qui peuvent ressortir de l’écoconception industrielle ? 

Sophie Fabre : Deux grands domaines où l’on va trouver de l’écoconception et de l’innovation sont le recyclage et les nouveaux matériaux. Pour les nouveaux matériaux, il peut s’agir des nouvelles matières faites à base de produits végétaux pour remplacer le cuir ou de nouveaux plastiques-biosourcés. Pour le recyclage, ce sont surtout dans les procédés techniques que se niche l’innovation. Il y a par exemple, le recyclage mécanique, où des start-ups comme Replace innovent. L’entreprise a trouvé un procédé mécanique très peu énergivore permettant de recycler certains plastiques aujourd’hui sans solution de recyclage. Ils en font des piquets de vigne, des palettes et ce, dans un matériau qui est lui-même recyclable dans leur process.

Il existe aussi des techniques de recyclage émergentes comme le recyclage chimique ou le recyclage enzymatique développé par des entreprises comme Carbios. Chez Bpifrance, nous accompagnons aussi des startups comme Ecollant, qui recyclent les textiles en polyamide (collants, maillots de bains etc). Ces techniques de recyclage innovantes sont dans une phase émergente et doivent encore montrer leur efficacité, passer à l’échelle et réduire les coûts. Enfin, on trouve également des innovations technologiques liées au réemploi. Notamment, des solutions de traçabilité et d’optimisation des flux logistiques (qui sont cruciaux dans ce domaine) : par exemple, les solutions développées par la startup Bocoloco dans le domaine des emballages réemployables.

Néanmoins, l’innovation dans le domaine de l’écoconception, n’est pas forcément technologique, elle peut être aussi organisationnelle et collaborative. Aujourd’hui l’écoconception doit évoluer pour ne plus seulement servir à optimiser l’impact environnemental d’un produit mais aussi à questionner les usages afin d’aller vers des nouveaux modèles comme l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. C’est-à-dire, où l’on vend l’usage d’un produit plutôt que la possession du produit lui-même.

La French Fab : L’écoconception peut-elle être un levier pour transformer et relancer l’industrie ? 

Sophie Fabre : Oui, l’écoconception et l’économie circulaire en général peuvent servir à relancer l’industrie. Ces démarches vont pousser les industriels à réutiliser les matières, les composants, à recycler etc. L’économie circulaire prend le plus souvent du sens, d’un point de vue environnemental et économique, à l’échelle locale ou nationale. Si on transporte trop les matières recyclées ou les produits à reconditionner, à manufacturer, l’équation économique ne tient plus, sans parler de l’impact environnemental. En réalité, l’économie circulaire relocalise. Elle a le potentiel pour recréer de l’emploi et de l’industrie en local. C’est-à-dire, en reconditionnant, en manufacturant, en rétrofitant des produits dans les territoires. Certains produits ne peuvent pas relocaliser leur fabrication en France car la Chine est beaucoup plus compétitive sur la fabrication de produits neufs ; mais la remanufacture, elle, fonctionne en France : grâce à elle, on va recréer de la valeur ajoutée sur le territoire, en local, pour une deuxième vie, une troisième vie… Petit à petit, on déplace le curseur de la valeur ajoutée associée à ce produit et à ses multiples vies. Il ne sera pas toujours possible de faire du Made in France avec certains produits, en revanche, on va pouvoir faire du “Re-Made in France” et cela est vraiment enthousiasmant.

 

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