
Tech&Fest : « La technologie doit réinvestir le débat public »
Tech&Fest
Des innovations incroyables, des rencontres entre passionnés de technologies, des démonstrations interactives, des débats autour de la réindustrialisation, des startups deeptech ou de la décarbonation… Cette année, la deuxième édition de Tech & Fest qui s’est tenue les 5 et 6 février à Grenoble, a fait une grande place à la jeunesse. Plus de 3 000 collégiens et lycéens ont été conviés à découvrir les filières et métiers de la tech. Qu’il s’agisse du secteur numérique, de la santé, de l’industrie, du jeu vidéo, le sens à donner à la tech ne s’est jamais autant posé qu’aujourd’hui. Comment allier technologie et transition environnementale ? Comment rendre l’innovation plus utile et plus inclusive. Big média a donné la parole à trois jeunes femmes, ingénieures de formation.
Ambre Davat, 31 ans : « La technologie doit être au service du bien commun »
Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur en traitement du signal à Grenoble INP, Ambre Davat a poursuivi une thèse sur les robots de téléprésence, des dispositifs permettant d’interagir à distance. Cependant, son intérêt s’est rapidement tourné vers des questions de co-conception, cherchant à intégrer les futurs utilisateurs et les enjeux éthiques dans le développement technologique. Depuis quatre ans, elle travaille dans le domaine des biotechnologies médicales. Son approche prend en compte les besoins des patients, professionnels de santé et paramédicaux, souvent négligés dans ce secteur. Elle insiste sur l’importance de créer un écosystème autour des technologies pour qu’elles soient véritablement efficaces et bénéfiques.
Ambre Davat
Big média : Quelle est votre vision de la technologie ?
Ambre Davat : Pour moi, la technologie doit d’abord être au service du bien commun. Aujourd’hui, on veut tout numériser, développer de nouveaux outils, mais parfois cela peut aller à l’encontre des intérêts des usagers ou de leurs besoins concrets. Parfois, je suis un peu frustrée par les discours autour de l’innovation. Dans le domaine de la santé par exemple, il y a des besoins de base à financer et qui ne le sont pas. A l’hôpital, les services manquent de tout, de personnels, de temps, même de médicaments parfois. Et cela peut être une grande violence de venir et dire : « venez utiliser mon appli, elle est super ». Alors qu’une technologie seule ne résout rien. Il faut avant tout réunir les conditions pour permettre à l’ensemble des acteurs de l’écosystème de s’en emparer afin qu’elle puisse être intégrée aux pratiques.
Big média : Comment mieux inclure les femmes dans la tech ?
Ambre Davat : On dit souvent aux jeunes femmes qui veulent embrasser une carrière scientifique de prendre confiance en elles, mais pour moi ce n’est pas vraiment le problème. La confiance, ce n’est pas quelque chose qui vient de soi. C’est quelque chose qu’on construit, lorsque des opportunités se présentent et que d’autres personnes nous font confiance. Je pense bien sûr qu’il faut plus de diversité dans le domaine de la tech. Quand je vois passé des photos de startups où il y a dix hommes avec la même coupe de cheveux, la même couleur, les mêmes vêtements et une femme au milieu, je me dis, bon, ils vont peut-être aller vite car ils ont tous les mêmes idées mais ils n’iront pas forcément loin. La diversité ça crée de la friction, on peut inventer des choses nouvelles, se rendre compte des problèmes qui vont se poser. J’ai déjà eu à animer un atelier autour de ces enjeux de diversité dans le domaine scientifique et cela ne s’était pas très bien passé parce que ça avait été mis en place dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes. Tout de suite des oppositions se sont créées. Certaines femmes se sont dit immédiatement « non, je ne veux pas bénéficier de politique de diversité parce que cela veut dire que je ne suis pas légitime ». Or, il y a effectivement plein d’obstacles en chemin dont on n’a pas forcément conscience. Je pense qu’on doit vraiment changer la manière d’aborder le sujet : à l’université, c’est déjà trop tard, il faut travailler sur l’intérêt des filles pour les carrières scientifiques le plus tôt possible. En primaire, voire dès la maternelle.
Big média : Que dire aux jeunes qui veulent se lancer dans la tech aujourd’hui ?
Ambre Davat : La technologie, on ne peut pas y échapper même si on ne fait pas sa carrière dans la tech, donc c’est important de savoir de quoi il s’agit. Et puis, il y a aussi le problème inverse. Aujourd’hui, il y a des gens qui font des études d’ingénieurs mais ne connaissent pas le reste du monde. Je pense qu’il faut que les jeunes soient curieux, s’interrogent sur ce qu’est un ingénieur aujourd’hui. Quelle est sa place dans la société ? Quelle est l’histoire de leur discipline ? Il faut développer des savoirs et des compétences autres que l’ingénierie, en philosophie des sciences notamment. Il y a un besoin d’aller vers des profils qui soient capables de faire l’interface entre les technologues et les usagers. Aujourd’hui, on ne discute pas assez de ces questions. On peut avoir une super technologie mais qui sera inutilisable car il faut avoir un Bac+5 pour comprendre comment ça marche ou comment l’utiliser correctement.
Amélie Cessot, 23 ans : « La low-tech répond aux besoins de manière, utile, durable et accessible »
Ingénieure diplômée en énergie électrique à l’Ecole nationale supérieure de l’eau, l’énergie et l’environnement (Grenoble Ense3) Amélie Cessot est depuis trois mois en service civique au sein de l’association Le Low Tech Lab de Grenoble. La structure associative qui propose des programmes de recherches, des ateliers ainsi que des solutions autour des technologies accessibles et durables. La jeune femme, intéressée depuis le lycée par les questions environnementales s’interroge aujourd’hui sur la place de l’ingénieur dans la société notamment au regard du discours écologique.
Amélie Cessot
Big média : Quelle est votre vision de la technologie ?
Amélie Cessot : En sortant de mon école d’ingénieure, la technologie correspondait pour moi à un ensemble d’outils emboîtés qui viennent d’un peu partout et qui nous permettent de faire fonctionner des choses. Aujourd’hui, quand je pense à la technologie, je pense à tout ce qu’il a fallu de réflexions pour en arriver là. Au Low Tech Lab, on réfléchit à tout ce qui existe déjà autour de nous : le vent, le bois, le soleil. Et on s’interroge : techniquement, qu’est-ce qu’on peut faire de ça ? Ce qui est aussi incroyable avec la low-tech, c’est qu’il y a une partie sociale qui peut être complètement oubliée dans la deeptech.
Big média : Qu’est-ce que la low-tech apporte à la tech ?
Amélie Cessot : Mon association n’est pas contre la technologie, on fait plein de choses en lien avec elle, comme des fours solaires. Cela consiste à faire réfléchir les rayons du soleil sur des miroirs pour venir réchauffer un four pour des boulangers, cela est hyper technique. Mais c’est plutôt une technologie locale faite avec des gens qui ont un savoir-faire et pas avec des microprocesseurs qui viennent de l’autre bout du monde. Cette idée de technologie me plaît. Je suis arrivée dans un monde où j’avais déjà accès à l’ordinateur, au portable donc je ne me rends pas toujours compte de ce qui existait avant. Mais ce qui est sûr c’est qu’il y a des choses qui fonctionnaient très bien avant, alors pourquoi est-ce qu’on pousse trop loin ? C’est cela qui me gêne un peu aujourd’hui. La technologie a tendance à aller trop loin, à toujours vouloir creuser. Je n’ai pas envie de participer à des innovations qui pour moi ne sont pas utiles. Bien sûr, il y a des startups qui sont très cool. Je pense à toutes celles qui travaillent autour de la circularité, du recyclage, c’est hyper important. Tout ce qu’on produit, on va devoir réussir à le remettre dans une boucle de recyclage afin de ne pas continuer à accentuer les limites planétaires. La question n’est pas d’innover pour innover mais de réfléchir à ce qui est utile. Je souhaite qu’on puisse se nourrir, se loger, se chauffer avec des matériaux et savoir-faire locaux qui soient accessibles. C’est le cas des low-tech, elles sont accessibles à tous.
Adélie Persoz, 25 ans : « Je rêve d’une société où le progrès technique rimerait avec sobriété »
Ingénieure de formation avec une spécialisation en bio-ingénierie et en philosophie des sciences Adélie Persoz a fait ses études d’ingénieure à Centrale Lyon et s’est rapidement orientée vers l’industrie des dispositifs médicaux car le domaine de la santé ainsi que la technique l’intéressaient. En particulier, comment intégrer l’objet technique dans la vie quotidienne du patient. Depuis deux ans, elle travaille chez ACE Santé, un cabinet de conseil qui vient en aide aux acteurs de la santé publique sur des sujets concernant la stratégie, l’organisation et l’innovation en santé.
Adélie Persoz, crédit : tech&fest
Big média : Pour vous, la tech doit avoir du sens. C’est ce que vous avez dit lors de la conférence « Industrie du futur, ça vous dit quoi » ? Pouvez-vous développer ?
Adélie Persoz : Avant je n’avais pas vraiment conscience de l’urgence écologique car je ne m’étais pas rendu compte que ça allait nous impacter dans tous les domaines de nos vies. Je fais aujourd’hui du conseil en santé, j’ai quitté le milieu purement technique du secteur car je me suis rendue qu’on avait beau développer des tas d’objets techniques plus performants, il y aurait toujours des gens qui mourraient du réchauffement climatique, qui subiraient des inégalités d’accès à la santé, au soin. Dans mon travail, je participe à bâtir un système de santé plus résilient et plus accessible. J’y intègre la technologie mais moins le côté développement de nouvelles techniques que celui du comment on va utiliser ces outils techniques existants déjà pour améliorer le quotidien des personnes qui travaillent à l’hôpital et celui des patients.
Big média : Vous avez aussi dit « La technologie doit réinvestir le débat public ». De quelle manière ?
Adélie Persoz : En s’interrogeant sur ce qu’on veut pour notre société. L’hôpital est un très bon objet d’études sur les questions de société car c’est là que se passe le soin et le soin est un des vecteurs de notre humanité. Les pratiques qu’on a à l’hôpital sont révélatrices des pratiques qu’on a dans la société. Et aujourd’hui, je dirais que sur le sujet de la technologie, il y a un peu ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Par exemple : les transstockeurs sont quelque chose assez à la mode en ce moment à l’hôpital. Ce sont de grosses machines qui permettent de gérer tout seuls les stocks de bloc opératoire. Et elles soulèvent plein de questions. Si on veut aller vers un hôpital plus résilient est-ce qu’avoir une machine qui gère toute seul le stock du bloc opératoire est une bonne idée ? Si on a des problèmes d’énergie, est-ce qu’on a envie qu’elle serve à ça ? Mais d’un autre côté, il y a un gros enjeu de gestion de stocks à l’hôpital. Une grosse partie de son bilan carbone est dû aux médicaments et aux dispositifs médicaux. Si on arrive à mieux gérer les stocks cela évite de jeter des médicaments périmés ou des dispositifs médicaux périmés. La question est où est-ce qu’on se fixe la limite ? La technologie nous donne le moyen d’avancer mais en même temps, on l’a complètement exclu de nos débats de sociétés. Or, on doit y réfléchir de manière collective.
Big média : Quel regard portez-vous sur l’industrie du futur ?
Adélie Persoz : Je rêve d’une société où le progrès technique rimerait avec sobriété parce qu’aujourd’hui, on n’a plus le choix. Il y a des enjeux techniques intéressants à soulever de ce côté-là par exemple en santé. C’est plus élégant de mettre en place des grandes politiques publiques de prévention plutôt que de déployer toute une industrie chimique pour soigner des gens qui ont des maladies et dont l’incidence a augmenté à cause de nos pollutions. Développer ses politiques de prévention fera forcément appel à la technique et sûrement à l’industrie. Mais ce serait une technique et une industrie utilisées à mon sens plus intelligemment.
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