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Faire pour apprendre : le modèle des écoles de production au service du recrutement

Aujourd’hui en France, 42 écoles de production forment des jeunes aux métiers en tension de l’industrie. Parce que leur existence comme leur fonctionnement sont encore méconnus du grand public, nous nous sommes plongés dans le quotidien de l’Ecole technique du bois, basée à Cormaranche-en-Bugey, dans l’Ain.

« Au début, il était difficile de trouver des jeunes, maintenant on est presque en train d’en refuser », explique Cyrille Ducret, président de l’établissement. Dans cette école créée il y a 30 ans, l’optimisme est de mise. Côté gouvernement, l’urgence parle, portée par les 70 000 postes actuellement à pourvoir dans les entreprises du Coq Bleu. De passage mardi 24 novembre à l’école de production O’Tech Sud Oise, à Compiègne, Agnès Pannier-Runacher a annoncé la création de 34 nouvelles écoles de production dans les treize départements où elles n’ont pas encore trouvé d’ancrage.

« On n’apprend pas un travail manuel assis derrière une table »

A l’origine destinés aux élèves en marge des parcours scolaires classiques, ces établissements ont peu à peu fait leurs preuves mais manquent encore de visibilité. Le cursus s’ouvre dès 14 ans, et promet l’obtention à terme d’un CAP ou d’un Bac Pro. Derrière chacune des écoles, un leitmotiv : faire pour apprendre. « On n’apprend pas à faire un travail manuel assis derrière une table dans une salle de cours. C’est en le pratiquant, en le travaillant en permanence, qu’on appréhende au mieux le métier », affirme Jean-Christophe Charrier, directeur de l’école aindinoise. Dans l’établissement, affûtage, scierie et maintenance sont enseignés. Et comme dans toutes les écoles de production, la formation pratique va au-delà de la simple pédagogie : les élèves, à l’instar de prestataires, se mettent au service d’entreprises partenaires, qui rémunèrent l’établissement en retour. De quoi les motiver avec un apprentissage de terrain galvanisant et formateur. « J’ai vraiment l’impression de travailler pour des entreprises et pas forcément d’être à l’école. Le fait d’oeuvrer pour de vraies entreprises nous met en contact avec les plus anciens, nous permet de nous former à de nouvelles machines et de comprendre les mécanismes du quotidien professionnel », confie Pierre Chorain, qui a entamé sa dernière année de formation de technicien de scierie.

Côté établissement, ces contrats rémunératoires sont indispensables à la pérennité du modèle et à l’assurance de délivrer les meilleures formations. Achats de machines et de matières premières, rémunération des professeurs, tout a un coût. Pour l’Ecole technique du bois, il est impératif d’enregistrer un chiffre d’affaires annuel compris entre 400 000 et 500 000 euros pour délivrer ses enseignements sereinement. Même s’il est largement soutenu par la région Auvergne-Rhône-Alpes, Cyrille Ducret regrette la réduction de sa taxe d’apprentissage, passée de 325 000 euros à 100 000 euros. Une perte que lui, ses équipes et les élèves tentent de rattraper en optimisant leur production pour faire gonfler leur chiffre d’affaires : « On tente de faire des produits plus spécifiques. On est aujourd’hui les leaders dans la fabrication des ruches et nous fabriquons du mobilier urbain pour les collectivités territoriales, entre autres », explique le président. Pour obtenir des aides, la réussite des élèves est également un argument, porté avec coeur par Cyrille Ducret : « Notre ambition première et notre fierté, c’est de voir des élèves intégrés dans le monde du travail en sortant de l’école. Et d’une pierre deux coups, forts de ce constat, les pouvoirs publics nous soutiennent ».

« L’attrait de la game boy et de l’ordinateur »

Loin d’être utopique, la mission du président est accomplie. Sur les quelque 250 jeunes formés depuis la création de l’établissement, 230 exercent le métier qu’ils ont appris. L’un d’entre eux est même passé de l’autre côté de l’apprentissage en devenant responsable d’atelier mécanique au sein de l’école de Cormoranche-en-Buguey. Autre réussite pour Cyrille Ducret : en vingt ans, les profils des jeunes postulants ont bien changé. « Au début, on avait les mauvais élèves, maintenant on a des jeunes qui veulent réellement faire ces métiers. Ils ont conscience de leur richesse et du fait que les conditions de travail ont évolué », constate le président. Preuve que l’industrie gagne peu à peu du terrain en termes d’attractivité, ses grands enjeux, à l’instar de la transition écologique et énergétique ou l’Industrie du Futur servent également d’aimants pour les adolescents. Ce que Cyrille Ducret appelle « l’attrait de la game boy et de l’ordinateur » joue le jeu de la curiosité avec les jeunes, et entraine avec lui la volonté d’apprivoiser ces nouvelles machines qui bousculent le quotidien des employés du secteur. L’élève de terminale, Pierre Chorain, confirme : « Les gens ont une vieille image de l’industrie alors qu’elle a beaucoup changé ces dernières années. L’arrivée des nouvelles machines, la technologie en général, parle beaucoup aux jeunes. Ça a aussi un avantage sur la pénibilité au travail ». Un bon porte-parole pour son école, qui semble révéler une vérité admise unanimement par l’ensemble de ses camarades.

Des camarades de tous bords, qui doivent vivre ensemble au jour le jour : à l’Ecole technique du bois, il n’y a d’autre solution que d’enfiler la casquette de pensionnaire. Les professeurs donnent de leur temps en dehors des cours, proposent des activités, animent l’esprit d’équipe du collectif. Et au sein du collectif, les profils sont nombreux. Une section « troubles DYS » accueille des élèves souffrant de troubles cognitifs, un accord avec l’armée a ouvert les portes de l’école à de jeunes militaires dans un besoin de réadaptation à la vie sociale (pour des formations de six mois), certains y apprennent à travailler le bois comme à lire. Seule ombre au tableau : sur les 45 élèves, il n’y a qu’une seule fille. « On aimerait vraiment accueillir plus de filles. On doit encore communiquer et sur la réputation de l’école, et sur l’industrie en général pour attirer de nouveaux profils. Tout le monde sort de notre école avec de nombreuses compétences, un travail bien rémunéré. Certains de nos anciens élèves sont devenus cadres, d’autres responsables de production… Il faut donner envie aux jeunes de découvrir nos métiers, et de les apprendre », explique Cyrille Ducret. Une volonté d’autant plus ancrée dans la réalité que le modèle des écoles de production a fait ses preuves et prend de l’ampleur.

Dans le cadre de France Relance et du programme Territoires d’industries, les volontaires sont appelés à créer leurs établissements avec l’aide de l’Etat. Onze créations ou extensions ont d’ores et déjà bénéficié d’une enveloppe de 5,1 millions d’euros. En parallèle de l’annonce d’Agnès Pannier-Runacher de vouloir doubler leur nombre, Elisabeth Borne, ministre du Travail, a annoncé le déploiement de 7,5 millions d’euros pour faciliter le fonctionnement de ces écoles encore en marge. Une bonne nouvelle annoncée en pleine Semaine de l’Industrie, durant laquelle tous les industriels sont appelés à communiquer sur les opportunités offertes par le secteur auprès des jeunes. 

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