
Robotique : « Elle ne remplace pas l’expertise humaine, elle la démocratise »
La robotique médicale favorise le terrain de l’innovation : en soignant des zones du corps difficiles d’accès, en améliorant la dextérité du médecin, elle permet de repenser les modes opératoires. Soit un outil précieux pour le médecin qui reste décisionnaire : c’est une question d’éthique. Détails avec Bertin Nahum, président et cofondateur de Quantum Surgical.
Aujourd’hui, la chirurgie robotique est dominée par des acteurs quasi-hégémoniques. Reste-t-il des marges de manœuvre pour innover ?
Bertin Nahum : La robotique chirurgicale est un domaine en pleine croissance, mais encore très hétérogène dans son déploiement. À l’échelle d’un même hôpital, certains services opèrent exclusivement avec des robots, quand d’autres n’en utilisent aucun. Chaque spécialité avance dans son couloir de nage, avec des besoins et des attentes spécifiques. En urologie par exemple, plus de 90 % des chirurgies de la prostate sont aujourd’hui assistées par robot. La neurochirurgie et l’orthopédie suivent une trajectoire similaire : en Europe comme aux États-Unis, la quasi-totalité des services orthopédiques sont désormais équipés. Mais dans d’autres disciplines, l’adoption reste limitée. C’est pourquoi, nous ne sommes pas du tout en concurrence avec des acteurs comme Intuitive Surgical et son robot Da Vinci qui est centré sur la chirurgie digestive et gynécologique. Nos terrains sont radicalement différents.
Avec Epione®, nous nous sommes donné pour mission d’apporter une réponse technologique à l’un des plus grands fléaux de santé publique contemporaine, le cancer. Epione® a été conçu pour traiter de manière curative des tumeurs précoces situées dans la cavité abdominale. Nous avons démarré avec le foie, nous étendons maintenant notre solution aux reins, aux poumons et bientôt à l’ensemble des tumeurs abdominales. Aujourd’hui, nous nous attaquons aussi aux tumeurs osseuses. Partout où l’anatomie complique l’accès aux organes, où le geste chirurgical nécessite une dextérité hors du commun, la robotique ouvre de nouveaux champs d’innovation, au service de la performance chirurgicale et du pronostic patient.
Quel rôle l’intelligence artificielle joue-t-elle dans l’évolution de la chirurgie robotisée ?
BN : L’intelligence artificielle (IA) et la robotique sont les deux faces d’une même révolution médicale. La médecine repose sur deux piliers : le diagnostic et l’acte opératoire. L’IA transforme profondément le premier. En s’appuyant sur des millions de cas, elle assiste le praticien dans la détection précoce des pathologies, avec parfois une précision supérieure à celle des meilleurs spécialistes. Une fois le diagnostic établi, la robotique médicale entre en scène. Contrairement à l’IA, qui renforce la capacité d’analyse du médecin, le robot amplifie sa dextérité et sa précision. En d’autres termes, l’IA permet d’intégrer l’expertise collective des plus grands praticiens, tandis que la robotique permet à un chirurgien d’atteindre la dextérité des meilleurs opérateurs.
L’essor de la robotique médicale soulève des questions éthiques. Quels défis devons-nous anticiper ?
BN : La robotique médicale n’est qu’un outil. Un outil sophistiqué, certes, mais dont le praticien reste le maître. Un scalpel ou une pince chirurgicale ne prennent pas de décisions, il en va de même pour les robots. Le principal enjeu éthique repose sur la responsabilité. Tant que le chirurgien demeure au centre de l’acte médical, la question se règle simplement. Mais si, demain, des dispositifs autonomes voyaient le jour, nous aurions un défi majeur à relever : qui porte la responsabilité en cas de dysfonctionnement ? La médecine reste un artisanat de haute précision, où chaque intervention dépend de l’expérience, de la formation et même de la forme physique du praticien le jour de l’opération. La technologie ne remplace pas cette expertise, elle la démocratise. Elle permet à un chirurgien moins expérimenté de réaliser des actes autrefois réservés aux experts. C’est une tendance que nous observons déjà. De jeunes praticiens osent aujourd’hui entreprendre des interventions complexes qu’ils n’auraient pas envisagées il y a dix ans. Et ce phénomène n’a pas de limites. Partout où un geste médical est délicat, il existe une opportunité pour la robotique.
En quoi la robotique médicale peut-elle contribuer à la réindustrialisation en France ?
BN : Lorsque j’ai fondé ma première entreprise à Montpellier dans les années 2000, le secteur de la medtech y représentait trois emplois – le mien et ceux de mes deux collaborateurs. Aujourd’hui, plus de 400 emplois directs sont dédiés à la robotique chirurgicale dans la région, dont une centaine en production industrielle. En France, Quantum Surgical emploie 110 personnes et Zimmer Biomet, qui a racheté Medtech, l’entreprise qui développe le robot Rosa, a choisi de maintenir son usine à Montpellier pour y fabriquer ses robots, aujourd’hui exportés dans plus de 2 000 établissements à travers le monde. D’autres entreprises suivent cette dynamique, comme Lupin Dental, qui développe des robots pour la chirurgie dentaire, ou AcuSurgical, une start-up spécialisée en robotique ophtalmologique.
Soyons lucides : les États-Unis dominent largement ce secteur. Zimmer Biomet affiche une capitalisation boursière de 170 milliards de dollars, soit l’équivalent de la somme de Renault, Ford et d’autres constructeurs automobiles réunis. Cependant, nous avons une carte à jouer en Europe. La France peut et doit devenir le leader européen de la robotique médicale. Montpellier s’impose déjà comme un pôle incontournable dans ce domaine.
Quel message souhaitez-vous adresser aux entrepreneurs et ingénieurs qui voudraient se lancer dans la robotique médicale ?
BN : À l’heure où les jeunes générations recherchent des métiers porteurs de sens, la robotique médicale offre une opportunité unique. Lorsque j’ai découvert ce secteur, cela a été une révélation. Nous avons la possibilité d’améliorer directement la vie des patients. Quel plus grand moteur que celui de contribuer à sauver des vies ? C’est aussi un domaine en pleine expansion, qui nécessite des profils variés. Aujourd’hui, plus de 50 % des effectifs de Quantum Surgical sont des ingénieurs. Mais au-delà des compétences techniques, nous intégrons de plus en plus de profils issus du commerce, de la formation et du support clinique. Fait marquant : si la population des ingénieurs est encore majoritairement masculine, les équipes de support technique en bloc opératoire comptent une forte proportion de femmes, notamment d’anciennes infirmières. La robotique médicale contribue ainsi à ouvrir la voie aux femmes dans un secteur historiquement dominé par les hommes.
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