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Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement en charge de France 2030 : « l’impact de France 2030 ne doit pas être simplement économique, il doit être social »

Présenté le 12 octobre dernier par Emmanuel Macron, France 2030 a trouvé en Bruno Bonnell son secrétaire général pour l’investissement. Parce que les ambitions du Gouvernement placent l’industrie au cœur du réacteur, nous avons interrogé celui qui en dirigera le déploiement.

54 milliards d’euros, dont 20 milliards issus du 4e Programme d’investissement d’avenir (PIA). Inédit dans l’Hexagone, France 2030 a succédé à France Relance et aux 3 précédents programmes d’investissements d’avenir dans un tout autre dessein : « répondre aux grands défis de notre temps » et « construire la France de demain », a déclaré Emmanuel Macron lors de sa présentation. Divisé en 10 objectifs distincts, touchant autant à l’hydrogène vert, qu’à la décarbonation de l’industrie, le nucléaire, la mobilité verte ou encore le spatial, France 2030 fait la part belle à l’innovation et aux startups industrielles pour préparer l’avenir. Méthode, ambitions, déploiement : nous avons demandé à Bruno Bonnell de nous en parler plus en détails.

Sur quelles bases et quelles ambitions France 2030 a-t-il été conçu ?

Le choix des objets a été fait en fonction d’une analyse prospective et à l’issue d’une large consultation avec les professionnels des secteurs concernés,  les ministères et l’ensemble de celles et ceux qui contribueront à bâtir la France de 2030. En plus d’un énorme travail de définition des objectifs à atteindre et des moyens pour y parvenir, il y a aussi eu un travail sur le choix des nouvelles « aventures » à travers lesquelles nous espérons fabriquer des champions français. France 2030, qui est finalement moins un plan qu’un « objectif France 2030 », a été pensé pour remettre la France en avance sur un certain nombre de secteurs stratégiques.  

Pour chacun des objets, le secrétariat général pour l’investissement (chargé, sous l’autorité du Premier ministre, d’assurer la cohérence et le suivi de la politique d’investissement de l’État à travers le déploiement du plan France 2030) définit une feuille de route globale, en lien avec les administrations compétentes, qui projette sur plusieurs années – 2030 et au-delà – un axe stratégique. Aussi, France 2030 a une temporalité : il y a des choses qu’on va faire tout de suite, et d’autres qui ont été pensées pour l’avenir. Dans l’immédiat, il y a des appels à projets (AAP) construits avec les opérateurs comme l’ADEME, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations ou l’Agence nationale de la recherche et les partenaires industriels. Sur la partie plus éloignée dans le temps, qui nécessite un travail de prospection conséquent, on va plutôt fonctionner avec des appels à manifestation d’intérêt (AMI) afin de recueillir les besoins et d’identifier les forces en présence.

En quoi France 2030 est un plan inédit en France ?

Il arrive dans la continuité des PIA, mais également complètement en rupture. Alors que les PIA étaient pensés pour accompagner quasi exclusivement la recherche et l’innovation, là, il y a trois grandes différences. La première, c’est qu’on a défini des objets précis, suivant la ligne directrice du mieux vivre, mieux produire et mieux comprendre. La deuxième, c’est qu’il y a une sélectivité plus importante. Il s’agit aujourd’hui, même si les PIA le faisaient déjà d’une certaine façon, de chercher l’excellence et de fabriquer les « champions de demain » en les accompagnant sur tout le « continuum de l’innovation », de la paillasse de laboratoire à l’industrialisation et à la mise sur le marché. C’est là une différence notable avec le PIA qui n’allait pas jusqu’à la phase d’industrialisation. Enfin, la troisième, c’est qu’on est aujourd’hui prêts à prendre beaucoup plus de risques.

Comme je l’indiquais, l’essence de France 2030, c’est de travailler sur toute la chaine de valeur du produit, de la formation des personnes, à la recherche, en passant par le prototypage et l’industrialisation. C’est une nouvelle façon de voir les choses. Avant, les actions étaient plutôt menées par secteurs, l’énergie par exemple, notamment via l’impulsion des ministères.

Que change le fait de passer d’une vision sectorielle à une vision par objets ?

Cette nouvelle vision nous permet de nous laisser guider par de grandes aventures, voire des utopies, qui permettent de challenger les entrepreneurs qui, nous l’espérons, deviendront les champions de demain. Cette projection sur l’avenir va polariser l’intérêt des gens sur les grands défis du 21e siècle. C’est un petit peu ce qui a manqué dans l’investissement en général, et au cours des 30 dernières années en Europe. A force de raisonner en fonction de retours sur investissement courts-termistes, on a créé une politique de petits pas. C’est un peu à cause de ça que la France s’est parfois marginalisée contrairement au Japon, à la Chine ou aux Etats-Unis qui, eux, ont osé continuer à faire ces investissements au pire des crises.

Cette base s’appuyant sur des « utopies » fonctionne en théorie, mais comment convaincre les entreprises à se lancer de façon concrète ?

Il faut penser en décalage par rapport au travail traditionnel que font les investisseurs, en proposant un nouveau schéma de risque aux industriels. On leur ouvre la porte à une audace en termes d’innovation qu’ils avaient peut-être mise de côté. Au lieu de les laisser raisonner suivant un schéma résumable à « j’ai peu de moyens, donc j’innove peu », il faut inverser leur façon d’envisager les choses. Ce qu’on veut leur dire aujourd’hui, c’est « osez innover, on trouvera les moyens de vous accompagner ». Cet apport de moyens aura également un effet vertueux sur les compléments de financement et pourra engendrer des effets de levier.

Les startups industrielles ont une large place dans France 2030. En quoi consistera concrètement leur accompagnement ?

Concernant les startups, j’ai une conviction : je pense que plus que l’argent, le problème est souvent l’organisation. Il faut que les dirigeants se concentrent davantage sur la construction de la charpente de la croissance, qui est aussi importante que la construction financière. C’est quelque chose qu’on ne dit pas assez aux startupers. Il faut aussi mettre l’accent sur la formation. Il y a plein de boites tech de talent qui ont des idées, mais on sait aujourd’hui qu’on a peu de ressources humaines en France dans certains domaines. On peut continuer à verser des millions à des startups innovantes, mais il faut aussi que celles-ci trouvent les femmes et les hommes capables de donner vie à leurs idées.

De quelle façon cet accent sur la formation va-t-il se manifester matériellement ?

Il faut coupler formation et financement, l’accélérer en termes de temps et l’augmenter en termes de volume. 2,5 milliards d’euros de France 2030 sont fléchés sur la compétence via l’appel à manifestation « Compétences et métiers d’avenir ». Nous allons faire des AAP spécifiques auprès des écoles, des centres de formation, des CCI et pourquoi pas des industriels s’ils ont envie de développer leur propre organisme d’apprentissage en interne. Nous allons également lancer des AMI questionnant la façon dont nous pouvons mettre en place les formations les plus justes et utiles possibles. La place des femmes dans l’industrie est aussi un point sur lequel nous comptons travailler. Grâce à ces AMI, nous allons pouvoir mettre en perspective des méthodes originales, des propositions de nouveaux parcours, nouveaux diplômes, des pistes de réflexion en coordination avec le ministère de l’Education Nationale, celui de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et le ministère du Travail.

Comment cette vision et l’ensemble des dispositifs vont être déployés dans les territoires ?

Cette question est au cœur de notre stratégie. Nous voulons élargir la base de la pyramide pour pouvoir financer l’innovation partout et pour tous, dans un souci d’égalité et de volonté d’aller chercher les idées dans les territoires « inattendus ». L’objectif est d’engager les territoires dans l’équipe de France 2030, avec l’Etat et bien sûr en lien avec nos opérateurs et notamment Bpifrance. Ils vont travailler à quatre niveaux. D’abord dans la diffusion de l’information générale. Ils vont ensuite nous aider à identifier un certain nombre de personnes et les encourager à candidater à nos différents AAP, entre autres. Nous allons également solliciter leur avis sur des éléments objectifs des entreprises candidates, en collaboration avec les gens qui travaillent sur le terrain. Enfin, ils aideront à la mesure de l’impact des projets des lauréats. Celle-ci prendra une forme particulière : elle ne se limitera pas uniquement aux retours financiers sur investissement. Je veux que l’impact soit également socio-économique, qu’il touche l’emploi, la parité femme-homme, le tissu local… Ce qu’il faut mesurer, c’est le mieux vivre des territoires issus des innovations des entreprises choisies.

On parle de réindustrialisation depuis de nombreuses années, pourquoi un tel plan d’investissement n’arrive que maintenant ?

Il y a très certainement eu une accélération liée à la crise sanitaire, à la prise de conscience planétaire des risques objectifs liés au réchauffement climatique, et à toutes les évolutions globales de la société. Cette dernière a été cristallisée pendant très longtemps et aujourd’hui, intuitivement, les gens veulent la faire bouger. Mais pour évoluer au mieux, il faut des rêves sur lesquels se baser, on ne transformera pas la société via la contrainte. L’avenir du spatial, de la voiture électrique, la décarbonation de l’industrie, la transformation numérique… Il faut projeter le futur avec des engagements fermes, et la France arrive à une période où elle doit capturer le moment. Ce n’est pas un trou de souris, ce sont des portes grandes ouvertes vers l’avenir, pour la jeunesse. Nous avons la chance d’avoir dans ce pays des femmes et des hommes qui ont des formations, des envies, des idées. « Génie français » n’est pas une expression erronée. C’est une réalité tangible que nous souhaitons accompagner dans le cadre de France 2030.

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