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Ardelaine, « ce n’est pas le phénomène « start-up », c’est le phénomène « fourmi » »

Ancrée le village ardéchois de Saint-Pierreville, la SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production) Ardelaine a fait de la laine un doux prétexte pour la matérialisation de belles ambitions : économie sociale et solidaire, développement du territoire et écologie sont au cœur de l’entreprise durable créée en 1982.

C’est l’histoire d’une entreprise dont « le chemin s’est fait en marchant ». C’est de cette façon que Meriem Fradj, présidente du conseil d’administration, a introduit sa description de l’aventure Ardelaine. Une aventure faite d’utopie et d’utopistes, comme on pouvait en croiser dans les années 70. Ils n’avaient pas les compétences ni les moyens, mais ils avaient des ambitions : réoccuper des territoires abandonnés, créer des emplois dans les zones désertifiées, et préserver l’environnement. Leur levier : une ancienne filature à l’abandon découverte dans le village de Saint-Pierreville, en Ardèche, en 1972. Touchés par l’histoire de cette manufacture et par la vieille dame qui continuait, seule, d’occuper les lieux, ils se sont lancés à une époque où « tout le monde pensait qu’il était impossible de restructurer une filature de laine. Toute l’activité du textile était organisée de manière industrielle et comptait sur les fibres synthétiques. ». Et « produire en France durant ces années-là, quel intérêt ? ».

Produire français, soutenir les territoires

Pour les créateurs d’Ardelaine, produire en France avait du sens, l’intérêt a fait son chemin en même temps que l’entreprise qui a poussé, poussé, poussé, jusqu’à devenir une institution pour le village de Saint-Pierreville. Pour en arriver là, la belle équipe a dû apprendre sur le tas. Retaper les bâtiments, les machines, apprendre à tondre, à travailler la laine, à fabriquer, des pièces de literie d’abord, des vêtements ensuite. Dans le petit village ardéchois (moins de 500 habitants), le savoir-faire artisanal a trouvé de nouveaux ambassadeurs, des emplois ont été créés. Ont-ils pensé à aller voir ailleurs ? Non, mais ils ont tout de même parcouru quelques kilomètres. « Suisse, Allemagne, Italie, Espagne… On a grandi en faisant les foires écologiques d’Europe. Puis on s’est dit stop. Ardelaine commençait, certes, à se développer, mais les gens qui avaient fait le choix de venir s’installer à Saint-Pierreville pour participer, entre autres, au développement du territoire, passaient leur vie sur les routes ».

La décision était prise. Mais comment faire venir les clients à eux ? En élargissant leur champ d’activité. D’abord, il y a eu un musée, puis deux, accompagnés de beaucoup de pédagogie. Le travail de la laine, les ateliers, le savoir-faire : il y en a, des choses à montrer et à raconter. Ont suivi un restaurant et un café-librairie. Pour conserver leur ancrage territorial et leurs ambitions initiales, c’est tout un écosystème qui a été créé, et qui fonctionne. 20 000 personnes viennent visiter le site chaque année. Ajoutez à cela la vente par correspondance mise en place dans les années 90 et obtenez une affaire parfaitement rodée, et qui n’a rien perdu de ses valeurs. Attention néanmoins à ne pas réduire Ardelaine aux valeurs en question : « on a toujours été dans le « faire » et pas dans l’idéologie. ».

L’écologie pour toile de fond

Si certaines convictions philosophiques réunissent et soudent les créateurs de la SCOP, elles sont avant tout un moteur. Rampe de lancement dans les années 70, elles sont aujourd’hui à la source de la recherche d’innovation permanente qui anime l’équipe. Branche capitale de l’ADN, l’écologie a orienté nombre de décisions. « Dès le début, nous avons fait en sorte que le travail de la laine soit le plus écologique possible. ». Pour respecter cet élan, la laine d’Ardelaine voyage tout de même un peu, jusqu’en Italie, où elle est lavée écologiquement avec retraitement des eaux usées, technique inexistante en France. De manière plus globale, tout, chez Ardelaine, est pensé écolo. « On exploite une matière 100% locale, travaillée à 500 km à la ronde, nos partenaires respectent plus ou moins cette même distance, il n’y a aucune dynamique de transport du produit, nos éleveurs sont concertés pour leur traitement antiparasitaires », et la laine, par nature, est 100% renouvelable puisqu’elle repousse. Même leur restaurant et leur librairie ont été pensés via le même canal de principes : le premier, « La cerise sur l’agneau », joue la carte du local, bio et raisonné, la deuxième rassemble des livres abordant diverses thématiques, dont l’écologie est l’un des piliers.

Néanmoins, si la soixantaine de personnes œuvrant pour la SCOP partage plus ou moins les mêmes valeurs, Meriem Fradj tient à souligner un point : « Il est important de dire qu’on ne se ressemble pas. Il y a une certaine hétérogénéité dans les approches, mais même si tout le monde est attaché au statut « SCOP », des réflexions différentes alimentent nos discussions ».

Un associé, une voix

Les discussions, SCOP oblige, sont toujours (ou presque) collectives. Le modèle s’est présenté comme une évidence dès la création de l’entreprise. « Ardelaine, c’est avant tout une équipe. Il était hors de question de construire le projet de manière classique, de penser à un outil qui n’appartiendrait qu’à une personne. Tout a été pensé collectif dès le départ. » En plus de répondre aux besoins immédiats (capital, organisation), le format SCOP fait parfaitement écho au modèle social et solidaire rêvé par les fondateurs de l’entreprise. « Ce type de société montre comment plusieurs « pauvres » peuvent s’associer pour construire une richesse. ». Un associé, une voix. « Grâce à ce système, l’ensemble des associés s’est saisi des responsabilités, a dû s’impliquer dans la gestion, dans les différentes phases de concertation. Il n’y a pas de centralisation, chacun est amené à s’impliquer. ».

Pour Meriem Fradj, aucun doute : « C’est en partie grâce à ce modèle que notre entreprise existe encore ». Ardelaine compte aujourd’hui 125 associés dont 34 salariés (qui détiennent la majorité du capital) et a enregistré en 2019 un chiffre d’affaire de 2,6 millions d’euros. L’entreprise brille, donc, mais ne stagne pas. « On est tout le temps en train de réfléchir, on cherche l’innovation chaque jour. Ardelaine, c’est un laboratoire. ». Penser à la suite, éviter la « sclérose ». Une prouesse pour la SCOP qui a fêté ses 38 bougies cette année, et qui, par la force du temps, regroupe des associés de 20 à 70 ans. « Parvenir à faire coexister fondateurs et nouvelles générations, c’est aussi ce qui nous permet de garder cette dynamique de développement et de voir foisonner toute forme d’initiatives ».

Ecologique, local, social, solidaire, la bonne idée d’il y presque 40 ans n’a pas pris une ride. La RSE, Ardelaine est née avec. L’innovation, Ardelaine l’honore depuis les années 80 et continue de la célébrer, matériellement avec l’acquisition de nouvelles machines, et idéologiquement. Ardelaine poursuit sa route, bat les sentiers et avance, lentement mais sûrement : « Ardelaine, ce n’est pas le phénomène « start-up », c’est le phénomène « fourmi » ».

 

 

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