New Space : « Une véritable économie du spatial est en train d’émerger », Lucien Rapp
Le New Space transforme profondément l’industrie spatiale. Comment définiriez-vous cette nouvelle ère et ses acteurs ?
Lucien Rapp : Historiquement, le New Space est une initiative américaine, née en 2005, en réponse aux succès européens, notamment à ceux de la filière industrielle française. La Nasa a alors amorcé un virage stratégique, en décidant de sortir des grands programmes publics pour confier des missions à des acteurs privés sur la base d’objectifs à atteindre – transporter des astronautes, réaliser des opérations dans l’espace –, tout en laissant une certaine liberté d’exécution aux prestataires. Cette inflexion majeure de la politique américaine a permis l’émergence de nouveaux opérateurs aux caractéristiques nouvelles : une forte appétence au risque, une culture de la compétition issue du secteur concurrentiel et un ancrage dans le numérique avec l’usage massif de technologies digitales qui introduisent une philosophie nouvelle dans l’approche industrielle du spatial. Ces acteurs vont vite, très vite. Là où il fallait auparavant des décennies, il ne faut que quelques mois, quelques années tout au plus, pour passer d’un concept technique à un projet commercial, mettre au point un carburant, un type de propulsion ou une nouvelle offre de service.urd’hui un terrain d’opportunités économiques et stratégiques majeur, au-delà du r
Pourquoi l’espace devient-il aujoêve d’exploration ?
LR : D’abord, parce qu’une véritable économie du spatial est en train d’émerger, aussi bien dans l’espace proche qu’autour des grands corps célestes comme la Lune, et peut-être demain, sur Mars. Ensuite, parce que les marchés se diversifient. Historiquement, ils étaient principalement articulés autour du segment Terre-Espace avec la conception et la construction de satellites, le lancement, la mise en orbite et les activités associées, notamment l’assurance et le financement. Ils se sont multipliés sur le segment Espace-Terre, avec l’ensemble des services rendus sur Terre depuis l’Espace, aujourd’hui dans l’agriculture, l’énergie, le transport maritime ou la finance. Avec le développement de services en orbite, un troisième ensemble de marchés émerge sur le segment Espace-Espace. On parle ici de ravitaillement de satellites, de réparation en orbite, d’extension de durée de vie. Enfin, la chaîne de valeur se déplace progressivement des activités d’amont vers les activités d’aval, c’est-à-dire vers les services. C’est tout cela qui fait de l’espace un secteur stratégique.
Quels leviers la France doit-elle activer pour rester dans la course ?
LR : La France dispose d’un réservoir de talents et d’une expertise scientifique et académique de très grande qualité. Ses grandes écoles, ses universités, ses centres de recherche forment des ingénieurs, mais aussi des juristes, économistes, gestionnaires, sociologues, historiens, géographes… tous capables de contribuer à l’essor du spatial. Il serait dommage qu’elle ne s’en serve pas. Elle s’appuie aussi sur une industrie traditionnelle solide, avec deux acteurs de rang mondial – Thales Alenia Space et Airbus Defence & Space – qui pourraient un jour n’en faire qu’un, une agence spatiale dynamique et un tissu émergent de jeunes entreprises. Côté financement, on voit naître l’intérêt des investisseurs, banques ou fonds, pour ce secteur, même si les sommes investies sont encore sans proportion avec les besoins du secteur. Ce qui manque, c’est une politique spatiale de long terme et des institutions capables de la porter pour définir les priorités et donner de la visibilité au secteur.
Comment encourager une meilleure synergie entre grands groupes établis et startups du New Space ?
LR : Nous avons en France deux traditions industrielles complémentaires qu’il ne faut pas opposer, ni faire disparaître. La première est celle des filières verticales, autour de nos opérateurs historiques. Elles reposent sur une hiérarchie bien connue : donneurs d’ordres, cotraitants, sous-traitants de différents niveaux. C’est un capital industriel précieux, qu’il faut conserver et améliorer. Mais nous avons aussi une bonne maîtrise de techniques d’essaimage industriel ou de coopération horizontales. Nous savons faire coopérer les entreprises, capitaliser sur le succès des grands acteurs pour entraîner les plus petits, faire émerger des marchés de niche, accueillir des jeunes industriels ou mutualiser les forces entre grands groupes. Il faut seulement que l’État joue son rôle, en assumant une partie des risques et que l’Europe nous y aide, en permettant – ou mieux en favorisant – de véritables synergies industrielles transnationales, par un assouplissement de son approche de la concurrence sur le marché ou par une meilleure intégration des marchés nationaux des dettes publiques et privées.
Comment conjuguer promesse technologique et responsabilité sociétale ?
LR : La France montre la voie sur ce plan. L’Union européenne devrait aussi y contribuer avec la future loi spatiale européenne. Nous avons perfectionné nos règles en conditionnant l’accès au marché à des engagements environnementaux et éthiques. Lorsqu’une entreprise demande une autorisation de lancement ou de maîtrise en orbite, elle doit démontrer qu’elle a prévu la fin de vie du satellite : déploiement vers une orbite de rebut, déstockage du carburant. L’accès aux infrastructures – notamment le spectre des fréquences – est aussi conditionné au respect de normes de sécurité, de cybersécurité et de responsabilité.
Quel rôle la société civile et les citoyens peuvent-ils jouer dans cette nouvelle aventure spatiale ?
LR : En 2022, les Assises du New Space ont fait émerger la nécessité d’une fondation totalement privée, à laquelle les citoyens pourraient être collectivement associés, comme ils le sont par exemple dans la recherche contre le cancer. Cela renforcerait le lien entre les citoyens et leur industrie spatiale. Nous proposons aussi l’instauration d’une Journée nationale – voire européenne – de l’espace, pour informer et sensibiliser le public aux réalisations de nos industriels. Des lieux comme la Cité de l’espace à Toulouse sont également essentiels. Ils permettent à tous, même sans compétences techniques, de comprendre les enjeux spatiaux, de marcher sur la Lune ou sur Mars en réalité augmentée. L’opinion publique est centrale, sans elle, pas de politique spatiale durable.
Consulter Panorama de juin 2025
Le New Space : l’espace, un terrain de jeu plein de promesses
partager cet article
ON VOUS RECOMMANDE AUSSI
-
News
Tour de France de nos industries : retour sur la 7e étape lors des…
21/10/2025
Jeudi 16 octobre, Le Tour de France de nos industries a fait étape à Marseille où s’est déroulée la 48e édition des Worldskills, compétition nationale des métiers. Durant deux jours – du…
-
News
« Transmettre, c’est faire vivre le savoir-faire » : Longchamp au service…
10/10/2025
Lors de la quatrième étape du Tour de France de nos industries, mardi 7 octobre, le bus bleu de la tournée organisée par Bpifrance, La French Fab et Opco2i, sous sa marque Avec…
-
News
Mise en route de la 2e promotion de l'Accélérateur Défense de Bpifrance en…
09/10/2025
Créée en avril dernier, l'Accélérateur défense de Bpifrance vient de propulser ce 8 octobre, de manière officielle sa deuxième promotion composée de 25 PME ET ETI. Droniste, équipementier…
-
News
« Avec ce Tour de France, c’est un appel à la jeunesse qui est lancé » :…
08/10/2025
Jeudi 2 octobre, Le Tour de France de nos industries a fait étape à Dieppe, chez Alpine. Berceau historique de la marque , la Manufacture de Dieppe est spécialisée dans la production de…