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Lean management et décarbonation : quand l'efficacité opérationnelle rencontre les enjeux climatiques

Comment concilier performance industrielle et objectifs climatiques ? C’est la question qui a rassemblé des dirigeants d’entreprises, membres de la communauté du Coq Vert et de La French Fab, ce 2 juillet à Sartrouville (Yvelines), dans les locaux du groupe Ora, expert du retail et de l’expérience en point de vente. Une matinée rythmée par des témoignages et autres visites d’ateliers, au cours de laquelle dirigeants et experts ont partagé leurs retours d’expérience sur les synergies entre lean management et transition écologique. De la réduction drastique des consommations énergétiques à la transformation des modèles d’affaires, en passant par la mobilisation des équipes terrain, les participants ont découvert que loin d’être contradictoires, efficacité opérationnelle et décarbonation peuvent se renforcer mutuellement. Comme en attestent notamment les témoignages des dirigeants de Cubik, Griffine et du groupe Ora. 

Cubik : mobiliser les équipes pour traquer les déperditions 

Créé en 2003, Cubik est un cabinet spécialisé dans l’accompagnement des entreprises vers la performance industrielle durable. Son approche du Green Lean (ou Lean Durable®) illustre parfaitement comment l’efficacité opérationnelle peut servir les objectifs de décarbonation. « Pour atteindre l’objectif du gouvernement de neutralité carbone à l’horizon 2050, il ne s’agit pas de produire zéro CO₂, mais d’émettre autant de CO₂ que nos puits de carbone sont capables d’en capturer », précise Olivier Cornut, président fondateur du groupe Cubik. En termes d’impact concret, cela signifie réduire de moitié la production d’énergie et, pour les industriels, diminuer d’environ 60 % les émissions à iso-activité. « L’objectif n’est pas de désindustrialiser, mais bien de réindustrialiser en répondant au double enjeu de recherche permanente de compétitivité et de verdissement de notre industrie », appuie le dirigeant. 

Pour le démontrer, notre expert cite l’exemple d’une ETI française de transformation de fruits. En 2022, confronté à une explosion des coûts énergétiques, ce producteur de compotes et confitures fait appel à Cubik pour transformer son modèle sans consentir à de lourds investissements. Une collaboration de six semaines. Sur le terrain, trente idées d’amélioration émergent naturellement. Pêle-mêle : un processus de décongélation jugé inefficace (les fruits congelés étant sortis puis réchauffés, générant un surplus de chaleur qu’il fallait ensuite extraire) tandis que les fours n’étaient utilisés qu’à 50 % de leur capacité. « Nous avons aussi constaté des machines qui n’étaient pas en cours d’utilisation, mais qui n’étaient pas pour autant éteintes pour rester à température, et qui pouvaient demeurer comme ça pendant des heures », observe Olivier Cornut. 

Résultat : 80 % des idées furent mises en œuvre, pour une réduction des consommations d’énergie de 28 %, sans avoir eu besoin d’investir.  « La réponse au défi environnemental n’est pas que technique. Elle va aussi être comportementale, et environ un quart du chemin peut être réalisé en mobilisant les équipes sur le terrain », conclut l’expert. 

Griffine : quand le lean accompagne la réindustrialisation verte 

Jacques Schaffnit, président de Griffine, enseigne créée en 1948 et spécialisée dans les tissus enduits pour l’automobile et le luxe, incarne cette nouvelle génération de dirigeants qui allient réindustrialisation et décarbonation. Ayant repris l’entreprise située dans le Vexin en juin 2023, il a investi 14 millions d’euros pour doubler les capacités de production tout en s’attaquant aux défis énergétiques. « Une des raisons pour lesquelles Griffine était en difficulté quand je l’ai reprise était l’explosion des coûts énergétiques : nous sommes passés d’environ 1 million d’euros de coût d’énergie à 5 millions », contextualise-t-il. Sa réponse ? Une approche lean systémique : « Le lean, c’est mon état d’esprit. J’ai mis la société en production quatre jours, ayant identifié qu’une usine, même si elle produit très peu, consomme énormément d’énergie dès lors qu’elle est en fonctionnement. »

Là encore, les résultats sont tangibles : amélioration des coûts de non-qualité de 7 % à 4 %, soit moins de déchets et moins de consommation d’énergie pour reproduire. L’entreprise développe parallèlement des plans de décarbonation ambitieux avec 30 à 60 % de réduction prévue dans les trois ans, en remplaçant les produits pétroliers par de nouvelles matières.  « Même si le lean fait partie de mon ADN, je prends toujours une société pour nous accompagner car il faut que ce soit un état d’esprit global de l’entreprise », conseille-t-il aux dirigeants tentés par l’aventure. 

Groupe Ora : de la RSE à l’entreprise régénérative  

Hôte de cette rencontre, Thibaut De Malézieux, fondateur du groupe Ora, a également partagé sa vision systémique de la transformation industrielle. Son entreprise de 350 collaborateurs, spécialisée dans la stratégie retail pour les marques premium et de luxe, confronte quotidiennement les contradictions d’une industrie majoritairement éphémère. « Des productions, si belles soient-elles, 50 % qui ont une durée éphémère. C’est encore plus violent de voir tous ces beaux matériaux qui finissent malheureusement encore majoritairement en décharge », témoigne Clémence Dehaen, directrice du pôle conseil climat et Directrice de la RSE du groupe. 

Cette réalité a poussé Ora à repenser fondamentalement son approche. « Nous considérons ne pas être face à un seul défi, mais à un double défi : technique (comment mieux produire) et ontologique (comment mieux consommer) », avance-t-elle. Le groupe a ainsi développé de nouveaux métiers – bureau de prospective, conseil environnemental – et investi dans une plateforme digitale qui simplifie les processus clients, adoptée notamment par L’Oréal. 

Côté lean management, Thibaut De Malézieux est pragmatique. « Dans notre chaîne de valeur, nous simplifions tous les jours. Nous faisons du lean en essayant de simplifier tous nos processus – c’est une des raisons pour lesquelles nous sommes encore sur le marché. Nous allons très vite, nous sommes ultra-réactifs et agiles. » L’histoire récente de l’entreprise illustre d’ailleurs parfaitement ce passage d’une logique de limitation des impacts négatifs à la création d’impacts positifs, notamment à travers son association Res’art pour l’upcycling artistique et sa gestion circulaire complète des déchets. Un dernier exemple qui rappelle que, par le lean durable, ce ne sont pas seulement les procédés qu’on optimise : ce sont les modèles qu’on réinvente et les visions qu’on fait évoluer. 

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