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Nicolas Jerez, Bulane : « les technologies de l’hydrogène sont déjà prêtes à être déployées »

Créée en 2009 par Nicolas Jerez, l’entreprise Bulane est à l’origine d’une technologie permettant de produire un combustible propre à base d’hydrogène. Parce que son activité est au cœur du plan de relance, nous avons questionné son président.

2 milliards d’euros dispatchés entre 2020 et 2021, 7,2 milliards d’euros alloués à la filière d’ici à 2030 : le gouvernement place tous ses espoirs dans l’hydrogène pour décarboner la France et accompagner la relance de l’économie. Pourtant il y a 9 ans, bien avant que l’Etat ne fasse de cette énergie verte la star de sa transition écologique, l’entreprise Bulane commençait déjà à mettre au point ses technologies.

Qu’a changé la crise sanitaire pour la filière hydrogène ?

Globalement, la crise sanitaire a accéléré la prise de conscience liée aux crises énergétique et environnementale. Beaucoup de gens sont aujourd’hui convaincus que la transition écologique est indispensable. Dans un contexte économique dégradé à cause de la Covid-19, quoi de mieux que de relancer l’économie en s’appuyant sur de nouvelles bases ?

Au cœur même du sujet de la transition énergétique, l’hydrogène occupe une place discrète depuis des années, mais extrêmement importante. Je pense qu’il aura été aussi effacé publiquement ces dix dernières années qu’il ne va devenir visible les dix prochaines.

Pourquoi l’hydrogène, qui était si « discret » avant la crise, revêt autant d’importance aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il est question de relancer l’économie, de sortir des énergies fossiles et de décarboner la France. L’hydrogène coche toutes les cases, mais ses technologies sont complexes. Ce sont des deeptech pour la plupart, donc il faut du temps pour les mettre au point. Avant la crise, elles ont eu le temps de mûrir et sont désormais prêtes à être déployées. L’effort à fournir ne concerne plus uniquement la R&D. Il concerne les soutiens financiers, nécessaires pour être compétitifs face aux énergies fossiles, mais aussi le cadre réglementaire, la démocratisation des usages ou encore le lancement d’appels à projets.

Tous ces procédés vont devenir les éléments centraux du système énergétique du futur et ont vocation, à terme, à remplacer les énergies fossiles.

L’hydrogène qui « coche toutes les cases » est l’hydrogène vert, mais on entend également parler d’hydrogène bleu ou gris. Quelles différences ?

L’hydrogène gris, c’est l’hydrogène qui est fabriqué à partir de produits chimiques, pétroliers, et qui occupe majoritairement la place aujourd’hui. Il a un impact carbone qui est équivalent au gasoil ou à l’essence. Il ne résout en aucun cas l’équation de la décarbonation.

Ensuite vous avez un hydrogène bleu, qui là aussi provient des énergies fossiles, mais qui, par des systèmes de captage de CO2, va empêcher le dioxyde de carbone de se dissiper dans l’atmosphère. Les impacts sont alors limités.

L’hydrogène vert, qui est celui qui nous intéresse aujourd’hui, est produit par électrolyse à partir d’énergie électrique. L’électrolyseur va choisir des électrons qui proviennent par exemple de sources d’énergie éolienne ou solaire. De ce fait, on produit de A à Z un hydrogène décarboné.

Même si le plan hydrogène de l’Etat ne soutiendra que le vert, il ne faut pas être dogmatique. Si on veut que la filière se développe, on peut aussi essayer de jouer avec les différentes couleurs, les combiner, les échanger…

Vous parlez de sources d’énergie éolienne ou solaire. Qu’implique un lien si étroit entre la filière hydrogène et les énergies renouvelables ?

La question qu’on peut se poser, c’est : « a-t-on suffisamment d’énergies renouvelables électriques pour nourrir l’ensemble de nos besoins en hydrogène vert ? ». A partir de là, l’équation devient complexe. Si en plus on ajoute le problème d’intermittence des énergies renouvelables, on ne peut pas garantir qu’on en bénéficiera du soir au matin en France. Après, on peut aussi s’appuyer sur le nucléaire pour utiliser des électrons non carbonés.

Comment se situe la France par rapport au reste du monde ?

On a une très belle filière, qui est composée d’un certain nombre de sociétés, des startups mais aussi des grands comptes. On a d’excellentes technologies sur toute la chaine de valeur de l’hydrogène. Il y a néanmoins un point important aujourd’hui : la crise sanitaire a révélé la nécessité pour la France de rester souveraine et d’avoir ses propres technologies. Il ne faut pas dépendre de l’étranger. Tout ça va résulter de la façon dont seront distribués les 7 milliards d’euros alloués à la filière par le plan de relance.

Comment l’Etat doit-il distribuer cette somme pour que le projet de la création d’une bonne filière française aboutisse ?

Soit on met ces 7 milliards au service de grands projets symboliques avec le risque qu’il n’y ait pas de création de valeur de façon durable dans l’économie française. Soit on essaye d’investir cette somme dans des applications ou des utilisations qui vont véritablement tracter le marché et laisser la place à une véritable filière. Pour que le soufflet ne retombe pas, il faut prioriser les projets hydrogènes qui vont créer le plus d’emplois, massifier pour abaisser le prix de l’électrolyse et de toute la chaine, et pousser la formation en créant des ponts avec les universités, IUT et écoles d’ingénieurs pour amorcer la pompe. Il faut mesurer tous ces éléments.

Si on ne choisit pas tous ces petits projets, dans 5 ans on ira acheter nos composants en Asie, qui elle est déjà en train de massifier sur de multiples usages diffus. Quand il va falloir aller chercher l’hydrogène le moins cher, on ira le chercher à l’étranger et on retombera dans les travers que l’on a connu avec les panneaux solaires.

Comment convaincre les acheteurs de payer plus cher en investissant dans les technologies hydrogènes ?

S’équiper d’un électrolyseur, c’est un peu comme acheter une voiture électrique. C’est plus onéreux qu’une voiture thermique, mais le coût d’usage est moins important. L’amortissement se fera très rapidement. Pour une installation industrielle, vous allez avoir un surcoût d’environ 25 à 30% en vous équipant avec l’une de nos technologies, mais vous n’aurez plus de gaz fossile à acheter. En général nos clients industriels amortissent leurs équipements entre 24 et 36 mois.

Les industriels sont-ils vraiment prêts à accueillir l’hydrogène ?

Le plan de relance va faire avancer les choses. Bulane a 9 ans d’histoire, 5 ans de R&D, et ça fait 4 ans qu’on commercialise notre première gamme de produits pour le marché du soudage. En 5 ans, on a cumulé 7 millions d’euros de chiffre d’affaires et vendu 1000 machines. On en est arrivé là avant même que le plan de relance ne donne de l’écho à l’hydrogène. Nos clients s’équipaient parce qu’ils voulaient le faire eux-mêmes, donc oui, ils étaient prêts. Le plan annoncé par l’Etat va cependant fortement valoriser ces industriels qui se sont déjà équipés parce qu’ils peuvent maintenant se targuer d’avoir été des pionniers, des avant-gardistes. Plus encore, le plan va les pousser à aller beaucoup plus loin s’ils bénéficient d’aides. Cette nouvelle notoriété promeut également la filière auprès des industriels qui n’avaient pas encore franchi le cap. Le message de l’Etat est clair, et ils savent qu’ils vont indéniablement devoir basculer vers cette typologie de combustibles décarbonés.

 

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