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Antoine Loiseau (Cougnaud) : « Notre force, est d’être une entreprise à capital familial »

Après une année de transition, Antoine Loiseau, ancien directeur financier au sein du groupe Cougnaud, pionnier de la construction modulaire, prend ses pleines fonctions en tant que directeur général, le 1er janvier 2024. L’entreprise familiale, qui est présente en Vendée depuis cinq décennies compte aujourd’hui une dizaine d’implantations à travers la France et plus de 1400 collaborateurs.

Antoine Loiseau a progressivement pris ses marques dans l’entreprise familiale spécialisée dans la construction d’espaces de vie et de travail, au fil d’un passage de relais minutieusement préparé avec les frères Cougnaud. Cette période lui a permis de constituer son équipe de direction et de mettre en place, avec elle, une nouvelle organisation. « Une fois les postes recrutés et stabilisés, j’ai pris mes pleines fonctions », résume le nouveau directeur général.
Emma Cougnaud, membre de la troisième génération Cougnaud est, au côté du directeur général, membre du conseil stratégique en tant que représentante de la famille Cougnaud mais est aussi impliquée dans les opérations en tant que directrice régionale Ouest et membre du comité de direction. « Actuellement, nous sommes les deux seuls à exercer simultanément des responsabilités opérationnelles et à siéger au conseil stratégique, qui est l’équivalent de notre conseil de surveillance ».

Avant de prendre la tête du groupe Cougnaud, Antoine Loiseau a suivi un parcours entièrement ancré dans cette filière. « J’ai toujours travaillé dans le secteur de la construction », explique-t-il simplement. C’est par des fonctions de contrôleur de gestion sur des chantiers qu’il fait ses premiers pas, avant de gravir les échelons dans la construction traditionnelle. Attiré par les enjeux et les innovations liés aux méthodes de construction industrialisée, il rejoint Cougnaud dans cette dynamique de transformation. Il y entre comme directeur financier, un poste clé. Âgé d’une quarantaine d’années, Antoine Loiseau incarne aujourd’hui un profil de dirigeant à la fois ancré dans l’opérationnel et tourné vers l’évolution industrielle du secteur.

LA FRENCH FAB : Quel est l’ADN industriel du groupe Cougnaud ?

ANTOINE LOISEAU : Notre histoire commence avec Yves Cougnaud, forgeron de métier, comme ses enfants. Très tôt, ils ont fabriqué des structures métalliques, posant les bases de notre identité industrielle. C’est pour cela qu’on disait à l’époque qu ‘Yves Cougnaud était le « forgeron bâtisseur ». C’est cette culture de la production et de la fabrication de produits qui nous définit encore aujourd’hui. Avec le temps, nous sommes devenus des constructeurs de bâtiments, en adoptant une approche innovante : la 3D modulaire métallique. Nous fabriquons des modules en usine, auxquels nous ajoutons les composants nécessaires pour former un bâtiment complet. Le résultat final est le même qu’en construction traditionnelle — des bâtiments — mais nous y arrivons autrement, avec des méthodes plus rapides, plus flexibles et souvent plus vertueuses.

« 90 % de notre production est réalisée en usine »

 

LA FRENCH FAB : Comment définiriez-vous le secteur de la construction modulaire pour un public peu familier ? Est-ce un domaine où tout est à imaginer ?

ANTOINE LOISEAU : Non, ce n’est pas un secteur à inventer : il existe, il fonctionne, et ce depuis de nombreuses années. Ce qui manque, c’est surtout une meilleure connaissance de ce modèle par le grand public et une partie des acteurs du bâtiment. La construction modulaire, c’est la rencontre entre deux mondes, celui de la construction et celui de l’industrie.

LA FRENCH FAB : Concrètement, en quoi consiste votre approche ?

ANTOINE LOISEAU : Nous construisons des bâtiments, comme n’importe quel autre constructeur. Simplement, la méthode change. Chez Cougnaud, nous utilisons un procédé industrialisé — la 3D modulaire métallique. On fabrique en usine des modules auxquels on vient fixer les différents composants nécessaires. Ensuite, ces modules sont assemblés pour former un bâtiment complet.

LFF : Quels sont les avantages de cette méthode ?

AL : Ils sont nombreux. D’abord, 90 % de notre production est réalisée en usine. Notre fonctionnement permet à nos opérateurs de travailler dans des conditions optimales, dans un environnement maîtrisé, sécurisé, fixe, sans avoir à changer de chantier tous les jours. Cela permet d’industrialiser nos processus : on y intègre des machines, des logiciels, des méthodes de production performantes. On fonctionne aussi en filière sèche, sans les aléas de la météo, ce qui améliore la qualité globale. Nous n’avons pas de sinistres, ce qui reste rare dans le secteur. Enfin, nos constructions sont déplaçables, transférables, réemployables. Donc, contrairement au modèle classique où un bâtiment est souvent détruit à la fin de son usage, nos modules peuvent être démontés et réutilisés. Cela rend notre approche plus rapide, plus durable, et plus vertueuse.


« J’ai la volonté de m’engager dans une manière de construire plus durable »

 

LFF : La question de la construction durable est au cœur des préoccupations actuelles, avec des enjeux comme la décarbonation et la circularité du secteur. Quelle est la position du groupe Cougnaud sur ces sujets ?

AL : J’ai rejoint Cougnaud avec la volonté de m’engager dans une manière de construire plus durable, centrée sur la circularité des bâtiments. L’idée de contribuer à des structures vouées à finir en ruine, enterrées dans un trou, me dérangeait. Je voulais participer à quelque chose de différent. Un de nos objectifs principaux a donc été de rendre l’ensemble de nos gammes déplaçables et transférables. Une grande partie de nos produits, comme les bungalows, les bâtiments de base vie, les écoles, les bureaux ou les réfectoires, sont déjà conçus pour être circulaires. Ils peuvent être déplacés, transférés et même connectés entre eux. Mais l’enjeu actuel est d’étendre cette logique aux bâtiments dits pérennes, qui ne sont pas encore totalement circulaires. C’est là-dessus que nous travaillons. Mais, cela prend du temps car il faut repenser toute la partie conception, utiliser d’autres matériaux, et surtout revoir les systèmes d’assemblage, comme toute l’ingénierie liée aux câbles.

Notre ambition à terme est claire :  lorsqu’un client achète un espace Cougnaud, il acquiert un ensemble de modules réemployables, qu’il pourra déplacer, rénover. C’est une construction vertueuse, bénéfique pour la planète. On la fabrique une fois, puis elle peut être déplacée ou rénovée en usine pour repartir vers de nouveaux usages.

LFF : La construction modulaire peut-elle répondre aux exigences de la RE2020 ?

AL : Absolument. Chez Cougnaud, nous sommes déjà en conformité avec les seuils 2025 et 2028 de la RE2020. C’est une réglementation intéressante que nous maîtrisons parfaitement et que nous appliquons au quotidien. Elle a le mérite de pousser encore plus loin la réflexion sur nos méthodes de construction, en particulier sur la gestion du cycle de vie des bâtiments. Et c’est là que le modulaire tire son épingle du jeu : grâce à sa circularité, il a des atouts indéniables à faire valoir pour répondre aux enjeux environnementaux.

LFF : Le groupe Cougnaud est présent en Europe. Quelles sont vos ambitions internationales ?

AL : Nous sommes effectivement présents en Europe, mais de manière encore très marginale. Nous livrons ponctuellement en Belgique et en Suisse. Aujourd’hui, notre priorité reste clairement le marché français. Celui-ci est en pleine évolution et nous a largement mobilisés. Nous restons toutefois ouverts à des perspectives de développement en Europe. Pour l’instant, les opportunités de développement ne se sont pas concrétisées.

LFF : Quel est votre regard sur la réindustrialisation en France ?

AL : Nous y sommes très favorables — et, en réalité, nous ne l’avons jamais quittée. Nos usines sont en France, nous avons toujours maintenu notre ancrage industriel sur le territore.

« Nous croyons fermement en la valeur de l’industrie de proximité »

 

LFF : Justement, le recrutement dans l’industrie reste un défi. Comment y faites-vous face ?

AL : Il y a eu, c’est vrai, une désaffection progressive pour les métiers techniques. C’est quelque chose que nous regrettons profondément, car ce sont des métiers passionnants, porteurs de sens et d’avenir. Chez Cougnaud, nous faisons le pari des talents : nous intégrons des jeunes, nous les formons quand il le faut, en complément de leur parcours initial, puis nous nous engageons avec eux sur le long terme, via des CDI.

LFF : Avec quel objectif ?

AL : Créer de vraies carrières. Nous voulons fidéliser, fédérer, offrir des perspectives. Et même si ce n’est pas toujours simple, nous y parvenons. La richesse de nos métiers, la diversité des sujets traités et les possibilités d’évolution interne attirent de plus en plus de candidats. Nous sommes présents partout en France, et nous croyons fermement en la valeur de l’industrie de proximité.

LFF : Comment l’industrie peut-elle s’ouvrir davantage et devenir plus accessible ?

AL : Chez Cougnaud, nous avons fait le choix de la transparence. Nos usines accueillent régulièrement des visiteurs : écoles, anciens salariés, publics extérieurs. L’idée, c’est de rendre visibles nos outils, de montrer ce qu’est vraiment l’industrie aujourd’hui. Le problème, c’est que l’image reste biaisée : on entend surtout parler des fermetures de sites industriels, rarement de celles, pourtant nombreuses, d’entreprises de services qui suppriment aussi des postes — comptables, informaticiens… Résultat, l’industrie semble seule à décliner, alors que ce n’est pas le cas.

LFF : Qu’est-ce qui freine, selon vous, la réindustrialisation ?

AL : Le principal enjeu, c’est la compétitivité. Le coût du travail reste très élevé en France, et pour rester viable, il faut produire efficacement des biens à forte valeur ajoutée. C’est aussi un défi d’innovation permanent. Sauf qu’innover en France, c’est souvent complexe : il y a des réglementations très lourdes, il faut mobiliser des compétences pointues, bien rémunérées. Et cela demande des investissements constants, non seulement pour innover, mais aussi pour préparer les produits de demain.

LFF : Comment Cougnaud répond à ces défis ?

AL : Notre force, est d’être une entreprise à capital familial. Cela nous permet de nous projeter dans le long terme, avec des dirigeants qui connaissent parfaitement le terrain : ce sont des gens qui ont fait toute leur carrière dans l’entreprise. Cela rend plus fluide la prise de décision sur les enjeux d’innovation — qu’il s’agisse d’améliorer la performance énergétique, d’intégrer des matériaux biosourcés ou de concevoir des bâtiments capables de produire leur propre énergie. Chez nous, les actionnaires comprennent ces sujets parce qu’ils les vivent au quotidien.

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Le groupe Cougnaud sert une large clientèle : des acteurs publics pour des espaces scolaires, sportifs ou de santé, des industriels pour des bureaux, vestiaires et réfectoires, et des entreprises de services pour des espaces de travail. Il répond également aux besoins du secteur du logement avec des résidences étudiantes, des pensions de famille et des logements collectifs. Tous ces projets sont réalisés selon des processus industrialisés. Retour sur quelques réalisations emblématiques.

Parmi les réalisations récentes : une maison familiale rurale aux Sables-d’Olonne, intégrant internat, restauration et espaces scolaires sur un même site, figure parmi les projets d’envergure. Le groupe accompagne également Airbus dans l’adaptation de ses infrastructures tertiaires, la SNCF pour l’aménagement de bureaux et d’hébergements destinés aux conducteurs, ou encore le groupe Naval dans ses besoins liés à la défense.

Cougnaud intervient aussi dans le secteur de la santé, avec la création d’une maison de santé en Ille-et-Vilaine et l’aménagement de locaux d’hospitalisation de jour à l’hôpital Sainte-Camille (Brie-sur-Marne). À Montfermeil, une école construite à partir de modules réemployés illustre l’engagement croissant de l’entreprise en matière de circularité. Le groupe travaille par ailleurs avec EDF sur des opérations liées aux arrêts de tranche, et vient de livrer un centre d’hébergement d’urgence dans l’Indre, pour le compte d’Adoma (groupe Caisse des Dépôts).

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