
Sylvie Guinard (Thimonnier) : « L’industrie a besoin d’imagination, de talent et d’envie »
A l’origine de la machine à coudre, Thimonnier est une entreprise centenaire. Depuis soixante-dix ans, elle s’est spécialisée dans la conception et la fabrication de machines industrielles d’emballage souple pour divers secteurs. En particulier, l’agroalimentaire, la cosmétique, le pharmaceutique, le médical et la détergence. Leader dans la production des sachets flexibles – type Doypack ou berlingot – l’entreprise est aujourd’hui dirigée depuis 2002 par Sylvie Guinard, également présidente du conseil d’administration de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI).
Celle qui rêvait enfant de devenir spationaute – ayant choisi le métier d’ingénieur qu’elle a exercé pendant de longues années – était loin d’être attendue. Avec son unique site de production situé à Saint-Germain-au-Mont-D’or près de Lyon, Thimonnier a su se démarquer dans un secteur très concurrentiel. 85 % de son chiffre d’affaires est réalisé à l’international, dont 80 % hors d’Europe. L’entreprise aux 90 collaborateurs, fabrique chaque année entre 60 et 80 grosses machines et entre 120 et 150 plus petites. En 2023, la PME a réalisé un chiffre d’affaires de 19 millions d’euros. Dans le contexte du salon Global Industrie, la cheffe d’entreprise qui interviendra ce mercredi 11 mars sur la Grande Scène pour parler innovation, revient pour Big média sur ce qui fait la singularité de Thimonnier dans un paysage industriel en pleine transformation.
BIG MÉDIA : Dans un secteur internationalement concurrentiel, comment Thimonnier parvient à durer tout en restant compétitif ?
Sylvie Guinard : Pour arriver à être compétitive dans ce marché mondial, l’entreprise avance sur deux piliers : l’innovation et l’international. Notre travail consiste à concevoir pour un secteur bien identifié, de la machine spéciale d’emballages souples pour produits sensibles. Il s’agit d’un emballage primaire pour lequel nous utilisons très peu de matériaux et pour des contenants dont nous avons un réel besoin. Nous travaillons à l’unité et nous essayons de proposer à nos différents clients, une solution financièrement plus intéressante pour eux. Nous leur créons par exemple une solution packagée, qui soit la plus adaptée possible pour leur outil de travail, afin qu’il gagne en performance.
C’est ainsi que nous sommes plus pertinents et compétitifs face à des concurrents beaucoup plus gros que nous. Notre taille, peut-être une faiblesse car nous ne disposons pas de leurs moyens mais elle nous rend aussi très agile. Nous devons non seulement nous adapter en permanence pour le rester mais aussi prendre de l’avance sur l’innovation. Nous consacrons actuellement, une bonne partie de notre chiffre d’affaires sur cet élément et l’équipe bureau d’études et R&D de Thimonnier représente un tiers de l’effectif.
« Quand on veut innover, il y a peu de chances qu’on trouve la bonne solution tout de suite »
BIG MÉDIA : Comment définissez-vous l’innovation ?
SG : L’innovation, c’est d’abord, une certaine forme de curiosité. Je trouve génial qu’à notre époque, les technologies évoluent à une vitesse folle et qu’un certain nombre d’outils viennent changer en profondeur l’utilisation de ceux qu’on avait alors à notre disposition. En partie sur toute l’approche numérique et intelligence. Quand je suis arrivée chez Thimonnier, les machines étaient très mécaniques, pneumatiques, désormais, elles sont remplies d’électronique, d’automatismes, d’intelligence artificielle. Pour l’ingénieure que je suis, cela est très intéressant. Car, dans notre entreprise, plus nous proposons des machines, plus nous faisons avancer la technique. Innover c’est aussi toute une culture. L’innovation va obligatoirement de pair avec une culture de l’échec car on se prend les pieds deux fois dans le tapis avant de trouver une innovation qui fonctionne. C’est pourquoi, il est très souvent difficile pour une entreprise qui n’a jamais travaillé sur l’innovation de s’y mettre ; la France n’a pas une culture de valorisation de l’échec. Or, quand on veut innover, il y a très peu de chances qu’on trouve la bonne solution tout de suite. Cette démarche permet d’avoir le droit à l’erreur, de se remettre en question. Il est aussi important de capitaliser sur ce qu’on apprend lorsqu’on est dans l’impasse.
« Quand on parle d’industrie, ce qu’on va chercher ce sont des entreprises qui génèrent de l’emploi et de la valeur ajoutée »
BIG MÉDIA : Quel regard portez-vous sur la place qu’occupe la France sur le marché de l’innovation, notamment celle dite de rupture ?
SG : Je vais ouvrir une petite parenthèse avant de répondre à la question. L’histoire de Thimonnier remonte à 1830 avec l’invention de la machine à coudre par Barthélémy Thimonnier. Dans l’usine, un musée, créé par le frère de mon grand-père, expose une collection de machines à coudre. C’est par lui que se termine la visite, et j’en profite pour expliquer aux personnes, notamment aux jeunes, qu’il existe trois types d’innovation. D’abord, l’innovation de rupture, celle qui marque un avant et un après. Quand mon grand-père est passé de la machine à coudre à la machine à souder, ou lorsqu’il a inventé le générateur pour souder le PVC par haute fréquence, c’était une révolution. Ensuite, l’innovation subie. Pendant les guerres mondiales, les ouvriers étaient partis au front, les matières premières manquaient et la machine à coudre n’était plus une priorité. Donc, qu’est-ce qu’on vend par temps de guerre ? Des métiers à broder pour faire des habits pour les soldats, des moulins à café, des vélos pour se déplacer…
Beaucoup d’industriels français de l’époque ont fait ça, car c’est ce qui se vendait sur le marché. Il fallait innover pour continuer à exister. Enfin, l’innovation incrémentale, celle d’aujourd’hui. Il ne s’agit plus de tout réinventer, mais d’adapter et d’exploiter de nouvelles technologies pour créer des solutions inédites.
La problématique qui se pose avec les innovations de rupture, c’est de savoir à quel moment elles vont rencontrer un marché qui leur permet de vivre. En France, nous avons besoin d’innovation qui crée de la richesse. Nous voyons des start-ups dans le numérique ou autre qui ne sont absolument pas rentables et qui ont du mal à transformer l’essai. Quand nous parlons d’industrie, ce que nous allons rechercher ce sont des entreprises qui génèrent des emplois mais aussi de la richesse et de la valeur ajoutée. Aujourd’hui, nous commençons tout juste à apporter des solutions notamment au sujet du financement. Donc, oui, nous avons un besoin de startups, d’innovations de rupture mais il nous faut reconnaître qu’elle doivent rencontrer un marché. Le pays a une vraie culture des sciences, on a de très bons ingénieurs, mathématiciens, on a toutes ces compétences enviées d’ailleurs à l’international. Mais, la technique a besoin de rencontrer le commerce et l’économie. L’innovation est une valeur ajoutée mais il existe plein d’autres moyens d’exceller.
« L’industrie peine encore à attirer la moitié de la population, les femmes »
BIG MÉDIA : Comment percevez-vous le rôle des dirigeantes industrielles dans cette filière vraiment en manque d’incarnation féminine ?
SG : Je travaille depuis plus de quinze ans sur la question de l’incarnation de l’industrie, notamment avec notre syndicat professionnel. Dans cette optique, nous avons lancé l’Industrie du Futur afin de mieux parler de l’industrie. Longtemps, cela a été un défi… jusqu’à la crise sanitaire. Soudain, l’industrie est devenue un sujet central. Un des rares effets positifs de cette période, selon moi, car cela nous a enfin permis de gagner en visibilité, d’aller chercher des figures, des voix pour mettre en avant la filière. Mais aujourd’hui, un autre problème persiste, l’industrie peine encore à attirer la moitié de la population, les femmes. Ce manque de représentation reste un frein majeur. Je le vois notamment lors des speed-datings organisés dans les collèges. Les modèles féminins y sont encore trop rares. Et lors de ces rencontres, je demande toujours aux élèves s’ils sont là par curiosité ou par obligation. Dans 99 % des cas, c’est imposé. Pourtant, en discutant, je découvre qu’environ 25 % d’entre eux veulent vraiment travailler dans l’industrie, sans même savoir que leur projet en fait partie. « Je veux fabriquer des voitures. » Mais c’est de l’industrie ! Beaucoup ignorent que tout ce qui les entoure – ordinateurs, téléphones, chaises, alimentation – provient de ce secteur. L’industrie repose sur l’ingéniosité, d’où le mot ingénieur. C’est un domaine ouvert à tous, garçons et filles. J’en suis la preuve.
Les jeunes cherchent du sens dans leur métier. Or, aujourd’hui, les défis sont immenses : climat, mobilité, alimentation, santé… L’industrie est au cœur des solutions. Elle a besoin de talents, d’imagination et d’envie. Ce que nous faisons a un impact direct sur la vie des gens. L’industrie est accessible, il suffit d’oser. Je porte ce message dès que je le peux. Je pense que si les jeunes veulent se lancer, ils ne doivent pas se mettre de barrières. Quand je m’adresse aux femmes déjà en poste, je leur rappelle que leur principale barrière, c’est souvent elles-mêmes. Elles doutent, pensent ne pas cocher toutes les cases, se disent qu’on ne viendra pas les chercher. Mais pourquoi hésiter ? Les hommes, eux, ne se posent pas ces questions. Alors allez-y, faites savoir vos envies ! Si vous n’en parlez pas, personne ne devinera que cela vous intéresse. Il faut créer les conditions pour que des opportunités émergent.
Big média : Quel message souhaitez-vous faire passer à l’écosystème industriel qui sera présent à Global Industrie ?
SG : Seul, on peut aller très vite mais à plusieurs, on est beaucoup plus intelligent. Lorsque l’équipe est diversifiée, nous sommes plus innovants. Chez Thimonnier, je mets un point d’honneur à recruter des profils sociaux variés, que ce soient des jeunes débutants en troisième ou des personnes arrivant avec une vaste expérience, comme celles ayant changé de carrière. J’apprécie ces profils car ils sont ouverts et ont su se remettre en question. exemple. Nous travaillons parfois avec des internationaux dans l’équipe, ainsi nous appréhendons les choses, le marché, les technologies de manière différente. Nous sommes je pense plus ouvert à des possibles, plus innovants.
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