
Julia Cattin, PDG du groupe FIMM : « Je crois à un retour de l’industrie en France »
Julia Cattin, présidente directrice générale du groupe industriel FIMM
Diables, gerbeurs sur mesure, chariots, escabeaux, servantes… Depuis 1956, le groupe industriel Momentum, rebaptisé FIMM il y a deux ans, conçoit et fabrique des produits de manutention de qualité et 100% français. Ces derniers sont destinés aux professionnels issus de différents secteurs d’activité, notamment les services, l’industrie, la logistique.
Installée à Joigny (Bourgogne-Franche-Comté), la PME regroupe aujourd’hui deux autres sociétés, Manuvit et WhipTruck situées à la Ferté-Macé, en Normandie et emploie 90 salariés. A la tête du groupe industriel qui a réalisé en 2024 un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros : Julia Cattin, fille de Roland Cattin, industriel. Après le décès soudain de son père il y a dix ans, tout bascule pour la vingtenaire qui ne se destinait pas à une carrière dans l’industrie. En fin d’études à l’étranger, la jeune femme fait le choix de quitter ses projets professionnels pour aider sa famille et reprendre les rênes du groupe familial.
Pour Big média, la jeune dirigeante est revenue sur son parcours singulier, sa vision de l’écosystème industriel et sa façon de gravir les échelons dans le monde entrepreneurial.
Big média : Il y a dix ans, vous avez pris la tête du groupe FIMM à la suite du décès de votre père, Roland Cattin. A l’époque, vous aviez 26 ans. Dans une vie de dirigeant et d’entrepreneur, dix ans est un nombre symbolique, singulier. Pour vous, qu’est-ce que cette décennie a représenté ?
Julia Cattin : Un vrai changement de vie car je suis devenue cheffe d’entreprise. 2024 est une année doublement importante et symbolique puisque cela fait dix ans que j’ai perdu mon père. Cette décennie passée invite à une introspection, à s’interroger : qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai apporté aux entreprises du groupe ? Qu’est-ce que j’ai construit dans ma vie ? Il s’est passé beaucoup de choses en dix ans, j’ai énormément appris, ces années ont été très riches et en même temps j’ai l’impression que tout est allé très vite.
« Une marque représente toutes les valeurs de l’entreprise »
Big média : Qu’avez-vous appris ?
Julia Cattin : J’ai tout appris. A être dans l’action, à travailler énormément. Avant, je n’avais que l’idée qu’on se fait de la fonction de dirigeant. J’ai débuté en cédant l’entreprise de vélos Time que mon père avait créée en 1987 (NDLR : l’entreprise a été cédée au fabricant mondial de skis, Rossignol) et cela a été l’acte fondateur de ces dix ans. C’est à ce moment-là que j’ai pu avancer. La décision a été très difficile à prendre mais c’était malheureusement un mal nécessaire. Souvent, je me dis que mon père n’aurait jamais pu faire ça : vendre 1 euro symbolique, l’entreprise dans laquelle il a mis toute son énergie et sa vie. Peut-être que c’était écrit quelque part, qu’il me revenait de le faire car lui, n’aurait jamais pu.
Aujourd’hui, je construis un nouveau projet en lien avec les équipes de FIMM et de nouveaux collaborateurs. Nous bâtissons une marque qui existait déjà mais qui s’affirme de plus en plus. En tant que dirigeante, la marque me semble quelque chose de très important. Elle représente toutes les valeurs de l’entreprise. D’abord parce qu’en achetant un produit, on achète beaucoup d’autres choses, c’est presque un acte politique. Mon père m’a de manière indirecte transmis cette veine-là. Les seuls moments où je me souviens avoir coopéré à ses côtés au sujet de ses entreprises, c’était pour réfléchir à une nouvelle marque pour tel ou tel produit, il aimait bien nous demander nos avis. Il nous a plusieurs fois raconté que sur le Tour de France, il mettait du Time partout parce qu’il fallait qu’on voie la marque. Par ailleurs, à mon arrivée au sein du groupe, j’ai souvent déploré le fait que nos produits ne soient pas reconnaissables. Moi-même, dans la rue, je n’étais pas capable de reconnaître un diable FIMM d’un autre diable, cela me posait un énorme problème. Sur la marque, j’ai le sentiment d’avoir apporté quelque chose.
« Tout ce qui concerne la Responsabilité Sociétale des Entreprises m’intéresse »
Big média : Y a-t-il d’autres chantiers sur lesquels vous avez apporté une autre patte ?
Julia Cattin : Je pense avoir apporté mon profil atypique au sens où je n’étais pas destinée à reprendre l’entreprise familiale. J’ai fait des études en macroéconomie, je m’intéressais à l’économie du développement et me destinais à une carrière dans une organisation internationale. J’avais envie d’être utile. Cela a sans doute contribué au fait que je me sente bien dans ce rôle de dirigeante aujourd’hui et que tout ce qui concerne la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) m’intéresse. Il s’agit d’un sujet vers lequel je me penche assez naturellement. A mes yeux, le retour sur investissement n’est pas une priorité bien qu’il soit nécessaire. Le « comment » on y va me préoccupe presque plus que la finalité. Ainsi, nous avons par exemple mis en place la récupération de chaleur fatale sur les fours de nos machines à peindre qui utilisaient beaucoup de gaz.
Nous avons aussi créé un système qui permet de récupérer la chaleur à un endroit et de la réutiliser à un autre. Ce qui fait qu’on a diminué de 30% notre consommation de gaz sur nos machines à peindre. C’est un projet qui a nécessité un bureau d’études spécialisé et qui a été réalisé sur plusieurs années. On fait également de la récupération d’eau de pluie. Et puis nous nous préoccupons de nos collaborateurs. Cela se traduit par des actions concrètes comme la mise en place de la semaine de quatre jours quand le prix de l’essence avait fortement augmenté. Plus récemment, le Responsable de production de chez FIMM nous a également permis de travailler sur l’insertion de personnes en situation de handicap et sur la mise en place d’une heure de sport par semaine à l’usine, le soir, après le travail pour les salariés.
Big média : Qu’est-ce qui aujourd’hui fait la force du groupe FIMM ?
Julia Cattin : En premier lieu, la valeur ajoutée de nos produits. Il faut savoir que nous avons deux bureaux d’études, l’un chez FIMM, l’autre chez MANUVIT. En tant que fabriquant nous avons une liberté incroyable de penser, concevoir et fabriquer nos produits. Je trouve que c’est assez formidable. Dans notre domaine, la pénibilité, la sécurité et l’efficacité au travail sont des leviers d’innovation puissants. C’est ce qui nous a conduit à sortir le DBA, un diable à basculement assisté ou encore notre dernier gerbeur, l’ASTAIR, conçut pour les charges de moins de 60kg. Plus récemment, l’éco-conception a également permis de revisiter notre façon de faire. En deuxième point, je dirais le fait de fabriquer en France. Je crois à un retour de l’industrie en France, je vois bien à quel point c’est essentiel. L’industrie, cela signifie des emplois et un territoire qui se développe. Cela veut aussi dire derrière, du pouvoir d’achat. Le problème que nous avons en France, c’est que nos prix sont tirés par le bas en raison d’une forte concurrence de produits d’importation. Donc, de manière générale, nous nous retrouvons avec une industrie française qui peine. Une industrie forte, capable de rémunérer correctement ses employés apporterait un meilleur pouvoir d’achat et une consommation plus vertueuse. L’Etat et les entreprises françaises devraient être les premiers à amorcer la pompe en privilégiant les achats français. Anais Voy-Gillis le dit souvent, si on veut une industrie souveraine, nous devons créer et soutenir la demande. Enfin, comme évoqué plus haut, il y a tous les projets que nous menons pour réduire notre impact environnemental et qui vont au-delà de la réglementation.
« Comment on donne confiance aux jeunes femmes pour qu’elles se disent, d’elles-mêmes, je suis capable, j’ai envie de faire ça ? »
Big média : En tant que jeune dirigeante industrielle, quels conseils et recommandations donneriez-vous aux jeunes femmes qui aimeraient se lancer dans l’industrie mais qui hésitent ?
Julia Cattin : Je le dis très honnêtement, si mon père n’était pas décédé, je n’aurais jamais été dirigeante. J’ai pris cette place car il y avait une urgence, ma famille avait besoin de moi et je ne voulais pas que tout ce que mon père avait bâti s’effondre. Pour moi, c’était une sorte de devoir. Je n’avais qu’une chose en tête, sauver l’honneur de mon père, aider ma famille et faire en sorte que les choses se poursuivent ou se terminent correctement. La seule raison pour laquelle j’aurais pu me retrouver là c’est si mon père était venu me chercher, si on me propose un défi, j’ai dû mal à dire non. Je ne sais pas si c’est une sorte de fierté mais en tout cas, j’y vais. La vraie question c’est finalement : comment on donne confiance aux jeunes femmes pour qu’elles se disent d’elles-mêmes, je suis capable, j’ai envie de faire ça ? Car je pense qu’il est tout à fait possible d’avoir plus de femmes dans l’industrie mais cela va demander du temps. Il faut qu’elles aient des références, c’est pourquoi je ne suis pas contre les quotas dans les entreprises. Au début, c’est nécessaire car il faut bien qu’il y ait suffisamment de femmes pour que derrière, d’autres se disent, oui, c’est possible.
Je pense qu’il est également essentiel de témoigner auprès des jeunes femmes et de partager nos expériences. Lorsqu’on me le propose, je n’hésite pas à aller à la rencontre des étudiants. Mon objectif est d’aider à déconstruire les idées préconçues sur ce que signifie être chef d’entreprise. Bien sûr, cela demande d’être prêt à assumer les responsabilités inhérentes à ce rôle et de posséder une solide capacité de travail, mais cela reste similaire à bien d’autres métiers. Et surtout, ce ne sont pas des qualités réservées aux hommes. Nous avons tous des domaines dans lesquels nous sommes plus ou moins compétents. L’essentiel est de savoir s’entourer de personnes de confiance pour compléter ses propres capacités. Être chef d’entreprise, c’est aussi cela : fédérer des personnes compétentes et de confiance autour de soi pour avancer ensemble.
Big média : Vous êtes-vous senti illégitime en tant que jeune dirigeante dans l’industrie ou non prise au sérieux ?
Julia Cattin : Pas prise au sérieux non, je n’ai pas senti cela. J’étais dans l’urgence. Pas légitime ? non plus, je suis la fille de mon père, il me revenait de prendre sa suite. Toutefois, il est vrai qu’avec le temps on gagne en confiance, en expérience. Je n’ai jamais été dans l’optique de dire : bon, les équipes, Julia est arrivée, maintenant, ça ne passe plus comme ça mais comme ça. Je n’ai pas du tout été dans cette direction. J’ai été très à l’écoute, j’ai observé, travaillé. C’est comme ça que j’ai évolué.
Big média : Comment décririez-vous la cheffe d’entreprise que vous êtes aujourd’hui ?
Julia Cattin : Il y a une chose qui est importante, c’est l’exemplarité. Je me l’impose encore plus car cela fait partie de mon rôle et va de pair avec mes responsabilités. J’ai aussi besoin d’une proximité avec mes équipes, je pense être une dirigeante opérationnelle, je m’intéresse aux gens. Je n’ai pas de numéro en face de moi. Je connais le prénom de chaque personne qui travaille dans mon entreprise, je connais leur histoire, je sais quand elles sont arrivées dans le groupe, je sais ce qu’elles apportent. Je suis reconnaissante de leur travail et ça peu importe la fonction qu’elles occupent.
« Chez FIMM, on adore bousculer les comportements »
Big média : Vous avez expliqué plus haut que céder l’entreprise Time à vos débuts a été très difficile. Qu’est-ce qui par la suite a été un véritable défi pour vous ?
Julia Cattin : Trouver ma place. Cela prend du temps, mais je ne pense pas que ce soit un enjeu spécifiquement féminin. Lors d’un événement récent, je me suis retrouvée à table avec trois hommes qui avaient, eux aussi, reprise l’entreprise familiale de leur père, bien que dans des circonstances différentes des miennes. Tous les trois ont partagé qu’il leur avait fallu dix ans pour réellement trouver leur place. Cela montre que la transmission des entreprises familiales est un véritable défi, quel que soit le contexte ou le genre.
Big média : Que peut-on souhaiter à FIMM dans les années à venir ?
Julia Cattin : Pour répondre, je vais vous raconter une anecdote liée à notre démarche RSE. Récemment, nous avons mené un test avec des distributeurs sur une sélection de produits. Prenons un diable, par exemple : c’est un produit qui, dès sa première utilisation, sera rayé. Alors, pourquoi l’emballer ? L’emballage ne fait qu’éviter une rayure lors du transport, mais cela n’altère en rien sa fonction. Cet emballage peut donc être considéré comme superflu, surtout que, pour certains de nos produits, en raison de leur forme ou de leur volume, nous ne pouvons utiliser que du film plastique. Lors de ce test, nous avons décidé de ne pas emballer le produit. Cependant, le distributeur communique clairement dès l’achat que le produit bénéficie de zéro emballage, pour que le client ne soit pas surpris et accepte de recevoir un produit avec une éventuelle rayure, à condition qu’il ne soit pas endommagé. Cette réflexion partagée avec nos clients nous pousse à remettre en question les comportements. En tant qu’entreprise industrielle, nous avons la responsabilité de réinventer nos modèles économiques. Comment être force de proposition et transformer nos pratiques ? Dans les années à venir, je souhaite à FIMM de continuer sur cette voie : bousculer les habitudes et faire évoluer les mentalités.
partager cet article
ON VOUS RECOMMANDE AUSSI
-
News
TOP FAB à la finale du concours Robotique First France
21/03/2025
Quatre équipes du programme TOP FAB lancé par Radio Mont Blanc ont décroché leur place pour concourir à la finale de la compétition internationale Robotique First France. L’événement se…
-
News
« L’industrie, c’est beau et sexy »
19/03/2025
Comment donner l’envie d’industrie aux jeunes générations ? Le sujet a été au centre de nombreuses interventions et tables rondes lors de la 7e édition du salon Global Industrie, à…
-
News
Industrie durable : ces 5 innovations repérées sur Global Industrie
18/03/2025
Automatisation, digitalisation et IA, énergie, environnement, process, services… La liste des thématiques mises à l’honneur cette année à Global Industrie témoigne de l’ampleur…
-
News
Global Industrie : La French Fab appelle à l’union des forces pour…
12/03/2025
Mercredi 12 mars, à Lyon, en direct du salon industriel le plus important de l’Hexagone, le collectif a lancé un appel fort aux côtés de plusieurs fédérations et organisations industrielles…